« Je l’aurai voulu brillant, éternellement, j’aurais aimé être fière du lui. Mon frère est sorti de ma vie de son plein gré, c’est ce que je m’étais dit en laissant la porte se refermer derrière moi. De son plein gré. »
On aurait pu penser que ce dernier roman de Marie Nimier serait sur les relations entre une sœur et son frère, les relations fusionnelles, familiales, les rancœurs et haines. C’est autre chose qu’est venue chercher l’autrice. L’absence. La subtilité de l’absence, celle qui se niche dans les profondeurs comme dans les marges, les silences, les mensonges et les oublis, les morsures du temps et les vestiges exhumés, la solitude quand tout bascule, quand les corps chutent, tombent, disparaissent. L’absence et la certitude que tout est là, dans les mots et les phrases, les ambiguïtés de la feuille blanche et de ce qui s’écrit. Le pouvoir des mots quand tout dérive.
Car avant tout, c’est de cela que parle Marie Nimier. D’une chambre à soi qui appartient à d’autres, de ces lieux qui donnent la hauteur et le vertige courage beauté nécessité de déposer les cendres de nos fantômes, des vivants comme des morts. Les mots. Des chambres. Et l’écriture. Celle de nos corps, celle de nos maux, celle de notre enfance adulte.
Il y a cette fragilité force humour sensibilité délicatesse qui se dresse à chaque page, comme un rempart au chagrin, à la tristesse, à la désillusion des souvenirs perdus. La fragilité des larmes salées, mouillée, serrée, vibrantes, vivantes. Les colères impardonnables et impardonnées, l’ambiguïté des plantes et des relations carnivores et le point de brisure, la place vacante et jamais obtenue, la chasse aux fables et aux contes, aux chats d'Alice et de ses pays des merveilles. Et l’absence, le manque. Partout. Omniprésent. L’absence de la réalité, l’absence de la mort, l’absence des vivants. L’absence aux vivants. L’absence à soi. Surtout.
« Je me suis longtemps considéré comme une personne discrète, un personnage secondaire du roman familial, et si par moments mon frère me mettait sur un piédestal c’était dans une fable qui n’était pas la mienne. »
Écrire comme une certitude que tout est là. Dans la verticalité du mot. Dans le chambranle d’une porte entrouverte pour libérer. Écrire comme des phrases hésitantes, des promesses déterrées, la nécessité. Écrire loin, s’éloigner, faire silence, gravir, ne pas se résigner. Écrire à la force de la main, du poignet, des souvenirs ressurgis, des corps déterrés. Écrire. Une chambre à soi. Une chambre à d’autres. Écrire. Comme un rempart. Aux autres. A soi. A ce qu’on empêche d’élever, de croire. Écrire. S’écrire. Ne plus être petite sœur mais devenir. Écrire. Dans l’absence des autres mais pas de soi. Franchir les silences, les miroirs, l’enfance. Écrire pour exhumer, accepter, se libérer, grandir. Devenir.
Devenir grande.
Sœur.
« Que son fantôme aille au diable, [elle] n'en a plus besoin.»
« On n’a pas toujours besoin d’une chambre à soi pour écrire, il arrive que l’on préfère une chambre chez les autres. Un endroit où aller, pas forcément très loin. Un endroit où se perdre, un endroit où se rendre, comme on dit rendre gorge ou rendre l’âme, pour solde de tout compte. »
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