« Autour d’elle, la plupart du temps, on a feint d’ignorer son chagrin, son isolement après ce deuil et l’arrêt brutal de la relation qui l’emprisonnait corps et âme à cet homme violent qui l’avait si mal aimée. Pourtant, elle le savait par ses lectures, la Comédie Humaine, les comportements des uns, des autres, lorsque l’on est à terre et que l’on a besoin d’un secours ! Personne. On est seul. Nul n’est prêt pour vivre l’isolement. Chacun peut le sentir, fuir alors le frère ou la sœur blessés ; et vite, rejoindre le troupeau aveugle et sourd. »
C’est l’histoire d’une femme qui, chaque soir, se couche en chien de fusil, rapproche les jambes près de son corps et remonte la couverture sur soi comme pour mieux disparaitre dans la nuit noire, sous sa lucarne étoilée. L’histoire d’une femme traversant sa vie, cherchant à travers de minuscules prismes, la lumière comme on la cherche à travers un filtre opaque.
C’est l’histoire d’une femme et de sa solitude, une femme qui nage des heures durant dans l’océan, erre dans la ville, fuit le vide, s’évapore dans le quotidien de sa vie, se raccrochant à des bouées, des phares, des mains, la folie du temps qui passe, l'urgence à vivre. Une femme blessée, qui se blesse ; une femme recroquevillée, qui se perd. Une femme « escargote » qui attend que la vie l’interpelle.
C’est l’histoire de Léna et Ben, l’homme qu’elle espérait, un amour et ses espoirs, ses attentes qui font souffrir, laissent des traces indélébiles, des cicatrices qui marquent la limite de ce qui est supportable.
C’est l’histoire d’une femme qui tombe chaque jour un peu plus au bord des grèves, sans oser s’aventurer plus loin que là où elle a pieds, Une femme esclave d’elle-même, enchainée à sa vie, ses souvenirs, ses colliers de perles portés, ses chaînes, des talisman hérités. Un chemin de vie, une nage incertaine, d'un hasard qui n’en est pas un, l’histoire de rendez-vous, de rencontres, du destin et de la vie qui court, la vie qui pousse toujours à s’ancrer, encrer. Une femme immobile, statue, qui va réapprendre à respirer, à croiser d’autres vies, à aimer, à redevenir mouvement, existence.
Marie Le Gall, Au bord des grèves. Au bord des vies. Comme ses parapets galets, ces pierres rondes et polies par le temps, les vagues amenant vers les phares, des plages, des chemins qui dessinent la vie, apportent la lumière au bord de l'océan.
La force des mots de Marie Le Gall, leur beauté silencieuse, les solitudes et les rencontres hasardeuses devenant de précieux rendez-vous, des bouts de lignes de vie, de projets encore hésitants mais qui prennent formes le temps d’une amitié devenue essentielle. Marie nous entraine dans un naufrage, une page de vie qui se tourne, s'échoue au bout de la jetée, fait face à l'espace immense de l'océan, sa folie, sa force, son énergie de vivre, à vivre.
L'écriture simple, raffinée, silencieuse de Marie Le Gall nous cueille, nous enveloppe et donne corps, provoquant une naissance lente et longue, apportant des rencontres qui nous attendent, des hasards qui n'en sont pas, des rendez-vous qui font grandir, interroger, devenir, des évidences ignorées révélées, reconnues.
Telle une confession, des secrets qu'on abandonne, des fantômes qu'on délaissent, des galets qu'on ramasse pour mettre dans ses poches, des cailloux transmettant un chemin, une plage, Marie Le Gall dessine le portrait d'une femme qui hante sa vie, comme on hante les sentiers, comme on renifle l’air pour ne pas trop le laisser s’infiltrer dans les poumons de peur de trop respirer, trop vivre, comme on nage jusqu'au bout du possible. Confession d’une femme qui apprend à revivre au bord des grèves et à fouler de ses pieds légers le sable chaud des criques qui bordent les montagnes noires et les landes illuminées.
« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » (Paul Eluard)
« ne plus comprendre la douleur qui nous dépasse, de continuer, même seul et parfois dans un profond et terrible silence, d’admettre la loi du monde et d’accepter enfin, l’inéluctable et les illusions. »
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