« C’est une histoire d’amour comme toutes les autres un autobus écrit Spécial avec personne dedans »
Chauffer le dehors quand le dedans est gelé, la glace a recouvert le cœur, le désespoir fait comme si de rien n’était, le souffle des paroles et des souvenirs ne retiennent plus les dates et les espoirs. Chauffer le dehors lorsque l’on cherche la chaleur en la retenant encore un peu au creux de ses mains, comme si l’amour pouvait toujours exister, comme si la porte allait s’ouvrir en grand, emportant dans son élan, les nuages noirs qui tombent, la neige épaisse et l’hiver québécois interminable.
Chauffer le dehors quand le dedans est en surchauffe d’émotions et de sentiments, en quête désespérée de ce braconnage amoureux, quand le cœur twiste au son de l’autre membrane vrombissante et qu’il remet le cadre droit, quand la déchirure n’est pas encore la blessure.
Chauffer le dehors lorsque l’amour s’en va et que la place se perd, les objets glissent de l’armoire, le chandail de la porte, quand on ne fait plus partie du décor, quand l'absence résonne.
« Tout fait de moi quelqu’un qui passe. […] Tout ça me pince, cette douleur d’être exclue des petites choses, de ne pas m’inscrire dans l’ordinaire de chaque jour.»
Une histoire d’amour comme toutes les autres, celles qui se terminent, où l’on cherche encore un peu à retenir l’autre avant de devenir un vulgaire objet déposé sur un coin de meuble, au pied de la cheminée, sur une table entre le plat de macaronis aux saucisses et la tasse de café. Une histoire d’amour avec personne dedans. Un état des lieux avant le grand déménagement, le fracas du printemps, la fonte des glaces, le solfège des tempêtes, avant l’émeute du dedans et le revirement des pôles.
« Faudrait juste savoir par où commencer pour désallumer l’attente, slaquer le hamster, faire corps avec tout ce qui a de la misère à exister. »
Chauffer le dehors lorsque l’on en vient à ouvrir portes et fenêtres, remplacer l’absence par les sentiers que l’on frappe de ses pieds sûrs et libres, lorsque le mot lentement cède la place aux points reliés, aux jours désossés et aux arêtes crachées, quand les couleurs reviennent juste en ouvrant les yeux. Quand il est enfin possible de raconter l’histoire, de se raccorder aux souffles des saisons, de comprendre les mots, l’accent, les réactions des corps et des peurs, de temporiser les bleus et les frissons, les désirs et les troubles. Lorsque l’accord du cœur s’accorde à celui du monde.
La poésie moderne, fraiche, criante, vivante, courte, ouverte de Marie Andrée Gill est comme une tempête de neige, une saison longue et froide où pour se réchauffer on fait appel aux souvenirs, à ce qui nous a liés à l’autre, l’autre d’avant, avant la rupture. Comme une longue souffrance dans laquelle on entre, on se pose, on comprend les tournures et virages, les chutes et chuintements. On chauffe le peu qu’il est possible encore de chauffer et on entend que c’est de cette souffrance, ce deuil que la vie revient, refait surface, chauffe de nouveau non plus le dedans, mais le dehors.
Ainsi chaque chose reprend place, la nature refait surface, la cabane en bois redevient habitable, les fjords chantent de nouveaux, les bélugas bercent de leur souffle tranquille l’hiver réveillé. On en vient à lire Chauffer le dehors de Marie Andrée Gill en laissant place à l’accent québécois du Lac St Jean, en acceptant de se mettre à nue et en rendant le quotidien poétique, la vie comme une poésie.
« Même si le futur hausse les épaules et démêle son filage tranquillement pas vite, je sais que la disparition sera ailleurs que dans le ciel qu’on a dézippé à grandeur pour l’habiter »
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