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  • Photo du rédacteurSabine

Marianne Maury Kaufman - Varsovie Les Lilas

Dernière mise à jour : 11 mars 2019


Il y a une certaine émotion, sensibilité à lire Varsovie – Les Lilas, à se laisser porter par les mots de Marianne Maury Kaufmann et son personnage principal, Francine, 80 ans. Un prénom comme une vieillerie, une faucille d’un temps passé, fauchée, naufragée. Un prénom comme on aurait pu en donner cent autres, des centaines, des milliers comme elle, comme Francine qui on le comprend très vite, à passer sa vie à fuir, fuir son enfance, fuir son pays, fuir les confins d’une Pologne occupée et un Paris déshumanisé.

Francine et la fuite du temps passé, qui passe, qui vient, qui sera. Francine et les souvenirs auxquels il ne faut pas se raccrocher de peur qu’ils déterrent les diables et les bribes d'une mémoire enfouie, disparue, ces êtres qui l’entourent et sur lesquelles elle laisse glisser l’affection. Surtout ne pas donner d’amour, faire semblant d’en recevoir ou d’être polie, mais laisser passer  ce qui brûle, ce qui fait. Fuir, fuir, fuir. Pour continuer à vivre.


« Car elle trompe son monde, elle. Elle qui tient debout, qui est même désespérément valide et infiniment résistante, qui s'est toujours fait l'impression d'être cette sale bête impossible à crever, comment appelle-t-on ça, déjà ? Un scorpion. Elle qui est un scorpion avec une grosse blessure invisible. »


Fuir pour vaincre les peurs, la solitude qui s’accroche à son bras. L’ultra moderne solitude qui s’abat sur son corps, son cœur, son âme. Rien autour d’elle, rien qui pourrait libérer la parole. L’inconfort des relations maternelles, filiales, humaines reçues en héritage et sur lesquelles elle ne laisse pas l’amour se transmettre. Echapper, s’échapper. Comme ces bus qu’elle prend et dont on ne sait où il la mènera, à quel arrêt elle s’arrêtera, arrêtera sa fuite. Jongler de bus en arrêts, de conducteurs polis en conducteurs enragés. Jongler et regarder passer la vie par la fenêtre, le silence comme acmé, des voitures où les chauffeurs s’invectivent, s’isolent derrière leur pare-brise, les blessures. Jongler entre deux passants qui montent dans le dit bus de la ligne 96, sa ligne de prédilection, Gare Montparnasse – Porte des Lilas : 40 arrêts et la traversée du 15e, 6e, 1er, le 4e, 3e, 11e et 20e arrondissement. Arpenter Paris pour ne pas se laisser envahir par toutes ces images fantomatiques, ce mal être, la solitude, l’invisibilité sociale et sociétale.


« Elle-même est un vieux rideau. »

Mais les silences ont besoin de respirer, de faire face à tous ces souvenirs enracinés, ces traumatismes indélébiles, ces encres que l’on croit disparaitre et qui renaissent à la faveur d’une flamme incandescente, une rencontre comme peut l’être une tempête, une bourrasque, une violence.


« Après tout le silence, c’est comme l’acide, ça vient à bout de tout. »


Un roman qui nous prend à la gorge par ce rythme saccadé, humain, sensible, soutenu, tel un bus qui prend son élan et marque l’arrêt soudainement. L’émotion accentue le rythme. La précarisation d’une vieillesse fantôme, nous saute à la gorge, la solitude, l’absence trop présente, les souvenirs qui embrasent la vie, empêchent de respirer et explosent dans une violence inouïe. Une tendresse que l’on devine et devient palpable, à fleur de peau, infiniment belle et humaine, bienveillante, comme un irrépressible besoin d’amour, une ville comme un paravent, un personnage référent. L’écriture saccadée de Marianne Maury Kaufmann s’étoffe nous donne air et vie, délicatesse et humanité. Et il est beau de se laisser glisser au côté de Francine, de rencontrer ses silences, sa solitude, de ressentir la puissance de la ville, son vrombissement, ses rues comme avenues, de ce qui bat, structure, fait fuir ou exister. Il est beau de ressentir la force qui nait d'une rencontre même si celle ci est nuisible, éphémère, toxique, de lire cette force de renaissance, de vouloir redonner vie, contour, parcelle de lumière, de fragilité. Redonner vie. Derrière les rideaux, derrière les âges et les rides, ce passé qui colle aux pieds et empêche d'aimer, d'être aimé, de ressentir l'amour, exister.

« ll faudra expliquer à Francine ce qu’elle a de précieux, la vie. »
« Au rythme de la musique, elle explore maintenant tout son bras, suivant le tracé d’une veine. Tout doucement, elle réveille sa peau et remonte vers le pli du coude, tandis que les notes, entêtées et lentes, l’escortent. Elle frôle son épaule, la clavicule, le cou où bat une artère, et lentement, elle va à la rencontre des larmes sur ses joues. »


Varsovie – Les Lilas de Marianne Maury Kaufmann fait partie de la sélection des 68 premières fois, éditions 2019. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées, en cours ainsi que les diverses opérations menées.



Varsovie – Les  Lilas Marianne Maury Kaufman Editions Héloïse d’Ormesson





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