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Marcelline Roux - Lettre à



Lettre à Patti Smith,

Chère Patti,


Je ne vous connais pas. En 1967, j’étais trop jeune pour comprendre l’importance de votre rencontre avec Robert Mapplethorpe. En 68, personne ne m’a montré les dessins que vous faisiez dans l’esprit de Frida Khalo. En 69, votre devenir punk, au Chelsea Hôtel, ne perturbait aucunement mes 3 ans. Je n’ai rien vu de votre peinture, ni lu vos poèmes des années 70 et suis passée à côté du Patti Smith Group. Je n’ai sans doute pas échappé, adolescente, à Because the night avec, ou sans, Bruce Springsteen, mais à cet âge, je n’étais pas pop. Mes parents me biberonnaient à la variété française et quand parfois mes contemporains me faisaient écouter des trucs rock, c’était plutôt Bowie, Police, Bryan Ferry...J’ai même loupé votre retour sur scène des années 1994-2003, là, suis carrément sans excuses. Et je ne dis rien du désarroi de n’être pas allée à Ronchamp, lieu qui m’est si cher, vous écouter dans un concert intimiste à la chapelle Notre-Dame-du-Haut. J’étais un an avant vous à Gand ...et ne suis jamais allée à New-York. Bref, avec vous, j’ai tout faux.

C’est pour cela que je vous écris cette lettre : pour vous dire que je rattrape les choses en consultant votre compte Instagram et en mettant en boucle Horses et People Have the Power. Sur le net, je vous écoute lire Les Vagues de Virginia Woolf, même si je suis verte de jalousie de n’avoir pas votre édition de la Hogarth Press, comme je suis jalouse de vos Polaroid de cafés, de carnets sur les tables, de bibliothèques...Pourtant, tout cela est vain : Barbara l’a répété, « tout le temps perdu ne se rattrape guère ».

Alors, j’accepte que notre vraie rencontre soit celle de femmes plutôt bien mûres. Vos longs cheveux blancs ont d’ailleurs du chien. Il aura fallu que ma sœur, de 9 ans ma cadette, glisse entre mes mains Just Kids, M. Train, mon préféré, et Dévotion pour que nos chemins se croisent enfin. La transmission n’est pas toujours le fait des aînés et c’est tant mieux. Dès la sortie de L’Année du singe, j’ai appelé mon libraire et il m’a dit qu’un exemplaire était déjà de côté pour moi. Je fais ce que je peux pour ne plus manquer nos rendez-vous et le choc envoûtant de vous lire. Je ne sais comment vous parvenez à mêler rêve et réalité, à faire que je vois New-York comme cet hôtel Dream Inn en Californie, que votre besoin obsédant de café devienne ma nécessité, comme les images qui vous traversent, les musiques que vous chantez. Je sens l’air qui vous entoure. Je ne parcours pas vos pages mais suis près de vous, dans votre tête, au milieu de vos incroyables images mentales. Tandis que votre ami Sandy est en réanimation, vous partez sur les routes : trajets, hôtels, rencontres improbables avec Ernest, lecteur fou de Roberto Bolano, Cammy, vendeuse de confitures d’oignons, un couple qui embarque des passagers à condition qu’ils restent mutiques. Je vois vos énigmatiques papiers de bonbons et la mystérieuse enseigne parlante...Tout me parle d’ailleurs dans cette année du singe, celle de vos 70 ans car, bizarrement, j’ai aussi vécu une année de singe en 2016 : l’année de mes 50 ans, année décidément climatérique. J’aurais pu vous rejoindre sur les routes avec mes carnets si le temps de traduction et la publication française ne m’avaient pas fait perdre 4 ans ! Décidément, avec vous, je collectionne les retards. Sans doute suivais-je inconsciemment votre mantra : « On ne suit pas les intrigues, on les négocie. » Dans cette négociation, j’ai fêté votre anniversaire, sans le savoir, puisque le 5 août est aussi celui de ma mère. J’ai noté dans mon carnet moleskine votre formule : « On est soi-même l’oeuf dont on mesure le temps ». Espérons que nous ne finissions pas trop dures !

Si vous recevez cette lettre, laissez-moi une adresse, je vous enverrai mes rêves woolfiens car je sais que les « choses importantes entrent dans vos rêves ». En cette veille du 4 novembre 2020, année du Rat, je souhaite que la peste quitte la Maison Blanche et que vous fêtiez cela à coup de vokda. Notre prochain rendez-vous viendra à son heure quelle que soit l’appellation de l’année, sachez toutefois que 2021 sera bœuf.

A bientôt,

Marcelline qui vous reconnaîtra.




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Lettre à

Marcelline Roux

Le Petit carré jaune








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