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Marcelline Roux - Frédérique Germanaud : Lettre à


Chère Frédérique,


Je mets en route notre chantier « Maisons d’écriture » en ce 25 novembre 2018, jour anniversaire de Léonard Woolf. Virginia traînera à nos côtés avec « sa chambre à soi » et ouvrira l’espace. Il me plaît de commencer cette « correspondance-recherche» en Winter. Nous avons lu Rick Bass, son installation dans le Montana, ses temps dans la serre, sa chambre à lui. Souviens-toi, il allume le feu et voit passer un coyote qui joue avec une souris avant de la dévorer. Si écrire est saisir les choses du dehors pour les mettre au-dedans, tout en jouant avec elles, la serre de Rick Bass est le lieu d’écriture par excellence, parfaite pour serrer le réel.


Nous avons souvent rêvé de la cabane en bois du côté des mille étangs, lui rendant visite, la prenant en photo. L’été dernier, tu y es entrée. Au milieu des toiles d’araignée, tu as déniché un vieux fauteuil. Qui sait si un Rick Bass franc-comtois n’a pas composé là ses plus beaux poèmes ? Cette cabane en planche attire comme un possible lieu de retrait. Un randonneur a pu s’abriter quelques heures, quelques jours, pour tenir son journal. Mona Cholet a raison : « même voyageur, l’écrivain est une sorte d’archétype du casanier ».


Drôle d’aventure d’écrire sur les maisons où l’on écrit. J’ai commencé par entrer dans les livres des autres pour pister ce qu’il leur était nécessaire, comment se dessinait leur décor. Mona Cholet et son Chez soi dit que « ce qui fascine dans les maisons d’écrivain ou d’artiste c’est qu’elles sont le théâtre d’une effusion d’être, portée à son paroxysme ». Est-ce cela que nous voulons approcher ? Croit-on en entrant chez Aragon, Chateaubriand, Proust, percer ce mystère ? Le retrait, qui met en route la trace sur la page, est-il saisissable ? J’ai ouvert un carnet et inscrit quelques citations de Colette la grande déménageuse. Je les partagerai avec toi. Je ne sais si c’est ainsi qu’il est pertinent d’avancer en échangeant, se posant des questions, en dialoguant à bâtons rompus. Débuter par un échange épistolier, genre mis au placard, est symbolique : côté maison, il faut avoir quelques placards à remplir. D’ailleurs, j’ai expérimenté, dans une chambre d’étudiante, une bibliothèque dans un placard et je connais une femme qui a son bureau dans un placard dont les portes servent de protection à sa réflexion. Je termine cette première lancée par ces images « riquiqui » pour alléger notre entreprise.


En amitié littéraire et plus.


Des bises de Marcelline en sa maison.


Chère Marcelline,


Merci d’avoir mis en route cet échange épistolaire. Nous avions projeté, un jour, de troquer nos maisons, pour un temps d’écriture dépaysé et amical. J’ignore si ce projet se réalisera ou s’il restera dans nos cartons, avec d’autres idées, d’autres désirs partagés autour d’une bière ou d’un verre de vin. Peu importe. Ouvrons pour l’heure un espace dédié aux maisons, les nôtres, réelles ou fantasmées, celles des écrivains qui nous sont chers, celles que nous lirons et auxquelles nous rêverons.


Tu ouvres cette nouvelle piste. C’est exactement ce qu’il me faut en cet automne mouvementé : une piste, une route, quelques cailloux en points de repère. Une sorte d’engourdissement me tient figée depuis deux mois, la tête et le corps emmaillotés dans un réseau étroit. Je ne peux bouger ni respirer à l’aise. L’écriture en souffre. Je manque de lumière. Tu te demandes si nous aurions validé les cabanes de Montauger comme maison d’écriture. Cela me conduit à m’interroger sur ce qu’est une telle maison.


À coup sûr, la cabane ne fait pas la maison d’écriture. L’écrivain non plus, me semble-t-il. J’ai eu accès à quelques demeures de mes contemporains ayant publié des livres. Certaines relevaient plus de l’étude notariale, d’autres d’un poussiéreux musée provincial – de peinture ou d’archéologie selon les goûts de leur propriétaire. J’ai en revanche vu des bicoques où l’on écrivait peu, ou plus, et qui étaient des véritables antres de création littéraire. Une certaine qualité de désordre, de circulation d’air et d’hommes, un agencement particulier des tables, des sièges ou de la bibliothèque. Je n’en tirerai ni règle ni définition. Des plantes grasses, un jardinet, un chat. Ou peut-être rien de tout cela, mais une table face à une fenêtre. Je repense à cette maison de Melisey qui nous a si fort marquées l’une et l’autre. Ne s’y trouvent ni bibliothèque – pas d’autres livres que ceux que nous apportons le temps d’un séjour – ni chat ni plantes vertes. Et pourtant…


Je t’embrasse.

Frédérique


Marcelline Roux et Frédérique Germanaud sont deux autrices dont j’aime les mots, l’écriture, la discrétion qui se joue, la simplicité d’un monde qui pourrait être beau. Il y une sincérité chez elle qui m’émeut profondément : la sincérité de la vie, l’économie de ce qui est vrai, pudique et intime. Nul fracas ou brisure et pourtant elles y martèlent leur regard d’un monde qui oublie ceux qui respirent plus lentement, qui décident de croire aux pas de côté, aux maisons de bric et de broc révélant des palaces poétiques, des ruines qui résistent aux vents et tornades d’un monde qui va trop vite. On pourrait y puiser la richesse, pas celle d’or ou d’une fortune qui amoncelle des actions et autres cotations boursières. Non chez elles, on y puise la richesse intérieure, l’amoncellement de la vérité, la liberté, l’humilité, l'amitié et la simplicité, la poésie comme livre de chevet.


Et c’est peut être pour cela que je les aime, que j’aime lire leurs mots, leurs livres, leur sincérité. C’est peut être pour cela que j’aime avoir dans ma bibliothèque des livres aux pouvoirs secrets.


Marcelline Roux a publié « Celles qui regardent, carnet de maisons », « Vita Nova solo » et tient des carnets littéraires en compagnie de Virginia Woolf sur le site de l’Atelier du passage.

Frédérique Germanaud a écrit « Quatre vingt dix motifs », « Courir à l’aube », « La chambre d’Echo », « Vianet : la lettre », « Journal pauvre », « Dos au soleil » et des poèmes « Intérieur. Nuit » et « L’homme aux oiseaux ». Elle peint et dans ses moments d’égarements cueille des prunes qu’elle met en bocaux, confitures délicieuses des hivers rigoureux.



Ces textes et photographies sont protégés par le droit d'auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation !



Lettre à

Marcelline Roux

Frédérique Germanaud

Un été jaune carré

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