« Au début, ils ont l’âge de vouloir une maison : un lieu pour planter des arbres et attendre la lumière du soir. C’est simple. Ils ont évalué le montant du prêt, achètent la presse de l’immobilier, commencent à fréquenter les agences et leurs agents : tout va bien. Un soir, ils entendent débarquer un jeune couple dans l’appartement d’au-dessus, et tout laisse à penser que la cohabitation sera difficile : raison de plus pour chercher un endroit calme et tranquille. »
De ce carnet j’ai eu envie de noter chaque mot, chaque phrase, de m’en délecter, savourer les images comme les gravures, m’en faire une grotte, un grenier, une caverne, une coquille d'escargot, un terrier, un lieu rien que pour moi, un jardin extraordinaire où l’ordinaire devient vital, nécessaire, précieux. J’ai eu la nécessaire nécessité de conserver le généreux, le beau, le doux, ce quelque chose qui nous ressemble, assemble, reconstitue, de retrouver à rechercher moi aussi cette maison-terrier miracle, douce, idéale. J’ai eu envie de l’ombre que porte l’arbre, le rai de soleil qui enveloppe la pièce, devient lumière, l’altération due à la mousse qui camoufle les fissures et les jointures. J’ai ressenti l’âme de chaque coin, chaque porte ou fenêtre. J’ai ouvert placard, tiroir, mis ma main sur le papier jauni, humé la poussière, sorti au grand jour les rideaux qui habillent les entourages boisés.
« L’illogisme séduit car il laisse toute sa place à l’improbable. »
J’étais à l’abri. Dans mon abri, ce lieu qui comblait un vide, qui était un besoin. Une urgence à la rêverie, à l’éloignement, à être à l’intérieur de ce lieu aux parois fragiles, aux pignons abîmés, aux toitures humides.
« Je continue de chercher son lieu d'écriture [...]. J'ai fini par ouvrir le portail blanc du Mas-Revéry. Je me suis mise là où la photo a été prise. J'ai vu la campagne, les vallons, les arbres, le jardin en terrasses, les boules de buis, le bassin, les fauteuils qui attendent les conversations, le fer forgé bleu des grandes fenêtres. J'ai aperçu quelque chose d'élégant dans l'hiver, dans la trace de l'ordonnancement "à la française". Malgré la mousse dissimulant les statues, l'affaissement des murets, le dessin résiste pour reprendre sa course de plis. »
Certaines écrivent des carnets comme on bâtit une maison, la sienne, mot après mot, pierre après pierre, chemin après sentier, caillou après rocher. Tout est bouleversant, tout est émotion, réceptacle à nos sentiments et ressentiments, à nos idéaux, à nos âmes qui cherchent un lieu pour se poser, se reposer.
« Notre maison est en nous ou devrait l’être. »
J’ai eu envie de noter, lire, relire, broder, bâtir, photographier, dessiner chaque paragraphe, de ne rien oublier, omettre et vous raconter le merle entendu, l’odeur révélée, la peinture craquelée, la coquille d’escargot retrouvée, le portail entrouvert, la glycine chèvrefeuille, le buis. Je n’ai pas réussi. Comme si je ne voulais pas partager ce lieu délicat, élégant, silencieux, humain, généreux, protecteur, cet espace préservé. J’étais celles qui regardent, celles qui vivent, hument, ressentent confusément, intrinsèquement, intimement que ce livre, ce carnet, ce journal n’avait été écrit que pour nous, pour moi, que les mots de Marcelline Roux ne pouvaient s’adresser qu’à moi.
« J’aime croire qu’un simple jardin puisse contenir en résumé tout ce qu’un homme est en devoir de comprendre et d’attendre. Limiter le monde à quelques mètres, est-ce une fuite ou une préparation à l’ouverture ? Trop souvent, il m’a semblé que la course en avant menait à des impasses : l’agitation, la consommation, le plaisir immédiat. Tout ce qui devrait donner à l’homme le sentiment de sa toute puissance, le rend en fait d’une infinie fragilité. »
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