Papa,
Petite, j'adorais le mot "tintinnabuler" - entends-tu, les clochettes, tintinnabuler. J'adorais Noël. J'adorais aussi quand Jacques Brel chantait "arrête de te répandre", j'imaginais un homme qui se transforme en une flaque d'eau au sol, une flaque de larmes.
Aujourd'hui, si on me demandait, je dirais que les mots que j'aime le plus, c'est "papa" et "maman". Peu de choses me touchent plus que ces deux mots-là.
Lorsque Sabine m'a proposé d'écrire une lettre, j'ai dit oui, tout de suite, mais j'ai longtemps tourné autour de cette lettre. J'avais mille envies, et mille peurs. Je voulais écrire à mon fils, à son père, à l'enfant que j'ai été, à l'adulte que mon môme devient chaque jour.
Mais c'est à toi que j'écris, aujourd'hui. Mon père. Mon père parti. Mon père absent. J'ai même pas envie de ce mot-là, qui est pourtant le seul vrai : mon père mort.
J'ai longtemps cru que tu aurais préféré un garçon. C'est terrible, cet orgueil de petite fille que j'ai encore. Je voulais boire des verres avec toi, je voulais regarder du foot. Je voulais que tu m'apprennes des choses de garçon, faire du feu, conduire une moto. Quand j'ai appris ta maladie, Anouch m'a dit : "n'attends pas, dis-lui ce que tu as à lui dire, maintenant". J'ai fondu en larmes, en sanglots longs, en cascades. Je voulais te dire "je t'aime". Je ne voyais rien de plus urgent à te dire. Je t'aime.
Tu me manques. L'écriture naît toujours de ce manque. Parfois, sur ce balcon où je pense tellement à toi souvent, il y a un merle. Un corbeau. Une tourterelle. J'imagine, rien qu'à leur chant, que tu viens me dire bonjour. Le jour de ton enterrement, C. m'a dit "il veille sur toi". Et là encore, les larmes et les tremblements, le tableau de La Balme accroché à mes bras, moi qui te serre, moi qui refuse, moi qui me dissous dans la peine.
Noé est au collège. Tu ne l'auras pas vu grandir, ce môme que tu faisais tant rire. Tu n'auras pas vu mes livres publiés. Le prochain parle de toi. J'ai mis des mois à l'écrire, me demandant si j'aurais pu l'écrire de ton vivant. J'ai passé des mois avec toi. J'ouvrais le texte en cours comme j'aurais pris mon téléphone pour te parler. J'ai vécu avec toi, encore. Et une fois le texte fini, je crois que tu m'as manqué encore plus.
J'ai mis un pull jaune. Tu verrais, ça fait du soleil. On a passé un week-end avec les enfants il y a quelques semaines. Tu étais là partout. Je vais avoir quarante ans. Et toi, et toi, je sais que oui, tu veilles.
Et que tu les as entendus, chacun de mes je t'aime.
- Madeline Roth -
Madeline, c’est une rencontre avec des mots. Ses mots à elle, ceux de ses livres, que j’avais lus avant de la rencontrer vraiment.
Ceux qu’elle poste sur les réseaux sociaux, accompagnés d’une photo, comme un rendez-vous qu’on guette chaque matin.
Et puis il y a les mots que nous nous sommes échangés dans le cadre de nos métiers. Ceux que je lui demandais d’écrire sur ses lectures, ceux qu’elle m’envoyait et que je recevais chaque fois comme un cadeau. Parce que recevoir un message de Madeline, c’est comme un cadeau. C’est de la tendresse et de la pudeur en même temps, un mélange d’émotions brutes et de retenue. Comme dans ses livres.
J’ai rencontré Madeline « en vrai » une fois, pendant un salon du livre, évidemment… J’ai eu le temps de retenir le son de sa voix, qui pour moi est exactement ça, un mélange de chaleur et de pudeur.
On ne se connait presque que par écrit, le nombre de mails échangés pour le boulot ne se compte plus. Et finalement c’est certainement grâce au filtre de l’écran (ou plutôt à l’absence de filtre) qu’on s’est dévoilées un peu plus, elle et moi, et qu’on a appris à se connaître un peu mieux. Et comme pour les textes qu’elle poste sur Facebook, mais avec ce petit privilège d’avoir ses mots rien que pour moi, j’ai aimé l’étonnante sensibilité qui se dégageait de ses messages. La même sensibilité que dans ses livres, sincère et vraie.
Aujourd’hui on échange un peu moins souvent, mais c’est toujours lumineux quand elle m’écrit.
Madeline travaille dans une librairie qui s’appelle L’Eau vive, à Avignon. Je trouve que le nom de ce lieu lui va bien. Madeline écrit, et ses prochains mots de papier sont pour bientôt. J’ai hâte de les retrouver.
- Amélie Muller -
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