« J’arrive pas trop à savoir. Ce qu’on fait des rêves quand ça devient moche. Si je m’acharne à lui trouver des excuses. Ou à me chercher des reproches. Ça rime. J’ai pas fait exprès. Il ne m’aide pas. C’est tout moi qui pense. Lui, il ne dit rien. Il touche. Il aime avec ses yeux, et ces mains. »
J’ai rarement lu avec autant d’intensité un livre ado, avec autant d’envie, vite, comme si dans ce petit roman, les mots, me brulaient les doigts, me brûlaient de désir, de ce désir brutal, évanouissant, primitif. Rarement. Une urgence à découvrir les phrases de Madeline Roth, ce besoin intime et silencieux d’être mise à nue, de crier avec son héroïne avant de faire place à la prostration, la culpabilité, empoisonnée à vie d’avoir trop aimée, empoisonnée à vie de l’avoir trop aimée.
Sans le connaitre, on sait que c’est lui, ce garçon qui nous fait chavirer le cœur. On sait que c’est lui qui nous fera découvrir l’amour, le vrai, pas celui que nous faisions pour faire comme les autres. L’amour passion. L’amour chair à chair, peau à peau. On sait que les nuits ne seront que les préliminaires d’un désir, d’une jouissance encore plus forte, inattendue, insoupçonnée. On sait que le torrent sera puissant, emportant loin les caresses indélicates connues, que la musique des mots, des silences sera bien plus forte que toutes les paroles de chansons fredonnées. On le sait, on l’a reconnu. Il est en soi, dans son ventre, son sexe, son corps, son intimité. Au plus profond. Une marque indélébile. Un amour tatoué, le derme, l’épiderme, la peau à jamais à vif. Veines lacérées.
« Je l’aimais, je le détestais, je l’aimais, je le détestais. Et puis ça m’avait fait rire ! C’était pareil – l’aimer ou le détester, c’était pareil, non ? ça voulait dire : il est entré en moi. »
Lucas. Comme un prénom à jamais crié, hurlé, aimé. Un prénom mille fois répété, caressé. Lucas, le premier laissant dans le cœur cette cicatrice, dans le ventre, ce manque, cette brûlure, cette soif, ce désert. Lucas et cet été. Lucas et ce cœur qui tape trop vite dans la poitrine.
« Je l’aimais peut-être depuis le tout début, et… j’en pouvais plus de me poser cette question, parce que ça ne changeait rien du tout. J’étais sûr de l’aimer »
Lucas et puis Tom, Baptiste, Chloé et ses cheveux rouges, Julie à ses côtés, inséparables sœurs siamoises. Et Jeanne. Jeanne au milieu de la piste de danse à observer, chercher des yeux, boire du regard Lucas, s’enivrer de ses paroles couvertes par le bruit de la musique poussée à l'extrême, le vin, la bière, l'ivresse qui fait oublier les pires mensonges, les cauchemars, les jamais, les caresses brulantes, les promesses, les « if you dream of me like I dream of you ».
Lucas et Jeanne. Jeanne et Lucas. Cet été là. L’été où tout chantait. L’été où les corps parlaient, les lèvres se frôlaient, se désiraient. Lucas. Jeanne. Et ce désir grandissant. Un été, un hiver, un printemps…
« Il fallait juste lui laisser ce temps-là. […]Le temps d’aller fouiller dans son cœur. Quand on accepte de l’ouvrir, de regarder dedans, sans avoir peur. » - « Et la vie a continué comme ça.»
Un monologue comme un cri dans la nuit, comme une envie à jamais de réveiller en nous ce premier et vrai amour qui nous a amputé une partie de nous même. Un roman comme un réveil, le réveil de celle qui souffre, corps à jamais marqué, cœur à jamais brûlé. Un récit comme un long été où l’innocence de l’enfance se perd, les amours rêvés s’embrasent et s’éteignent. Un été à ma source gardée, dans un nuage de pleurs, flottant quelque part dans l’espace abimé aux torrents des baisers. (Pierre Lapointe, le lion imberbe)
Un été comme un cri, un cri porté par une écriture à fleurs de mots, de peaux. Une écriture où chaque phrase se révèle, se murmure aussi, comme un secret longtemps gardé et que l’on accepte enfin d’ouvrir, de laisser vivre.
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