« Josiane habite une vie trop petite. Quand elle se retourne, elle se cogne. La tête, les coudes, les tibias. La mémoire. Alors, elle ne bouge pas. »
Depuis 2010, Mélanie Richoz a publié une dizaine de livres d’une richesse d’écriture assez incroyable. Richesse non pas au sens premier du mot, mais au sens noble. Ecrire chez Mélanie Richoz n’est pas vain. Chez elle, on sent la concision, la place du mot et de sa justesse, son sens du rythme et de l’émotion pure. Il y a une extrême beauté, une émotion vive à découvrir ses ouvrages, ses histoires. J’ai une grande affection pour l’auteur et son écriture qui par ses mots, arrive à écrire sur les failles, à rendre la lumière là où la noirceur intervient. Elle pourrait être l’équivalent de Damien Murith si elle s’attaquait à la poésie pure. Elle le côtoie dans sa manière de déposer, traiter les mots, les sujets, la narration même.
Et Mouches ne fait que confirmer la tranquillité douce et tendre et pourtant si forte, précise, de ce qui fait son écriture. Son regard sur les êtres, sur la noblesse de cœur qui est en eux.
Dans Mouches, il est question de la perte de mémoire, de vol d’insectes qui parsèment les souvenirs perdus, occultés par une vie, par la détresse et la solitude face au corps qui lâche, se perd dans les tourments de l’âge qui toque à la porte, des présences qui partent.
On avance ainsi avec Josiane évoluant entre un passé, l’enfance, l’amour qui protège, s’allonge auprès des rivières, les pertes de ceux qui partent trop tôt et les raisonnements soudain de l’adulte vieillissant, la lâcheté du corps, l’émotion des gestes qui se perdent, caressent les joues, des jambes qui ne tiennent plus. Josiane et ses multiples personnages, à l'abandon, à soi, au monde, à son monde. Josiane comme une poupée de chiffon face à l’absence, aux morts. Un corps inerte rempli de souvenirs sentant l’herbe humide et sauvage, des tartines de gelée de coing ou encore l’odeur acre de la chambre, du grenier de son enfance. Josiane et ses portes qu’elle ne sait plus comment ouvrir. Josiane et sa façon de se cogner au verre, au passé, au présent, telle une mouche ne sachant plus où se poser, où voler. La lumière rare et précieuse d’un champ de vision qui rétrécit, sombre, s’oublie, se débat d’une façon si terrible pour résister encore un peu.
Douceur, tendresse et désorientation.
L’amour lorsqu’on ne sait plus qui être, où être, comment être.
L’amour et l’abandon face au temps qui s’effiloche.
C’est tout cela qui réside dans Mouches, dans l’écriture précise et émouvante de Mélanie Richoz. L’amour d’une présence, de la beauté des yeux qui se pose sur un visage, un corps, des paupières qui se ferment, des corps qui parlent, de bras qui enlacent. C’est cet amour des besoins, des émotions et de leurs sensualités, de la beauté naturelle, de l’incandescence et le désir de vivre, aimer, être. La paix au milieu des tourments et des fissures de la vie. La délicatesse d’une auteure. La délicatesse de ses mots. La délicatesse d’écrire c’est quoi si ce n’est offrir une histoire et lui laisser le droit d’exister. Lui laisser le droit à une sensibilité, une grâce, une douceur dans les détresses, dans les bouleversements d’une vie, dans son authenticité sincère et lumineuse.
« Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent… Les yeux de la vieille dame cessent de flotter et accostent ceux de l’infirmière. Elle se balance et elle fredonne Colchiques dans les prés, c’est la fin de l’été. »
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