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  • Photo du rédacteurSabine

Lucie Paye - Les cœurs inquiets

Dernière mise à jour : 13 févr. 2021


« Derrière chaque œuvre se tient un homme, artiste ou artisan peu importe, un frère. Tous, comme lui, se tuent à dire leur vérité. Il n’est pas seul. Une confiance ardente l’anime. Il a raison d’essayer. Il en est sûr. »

Certains livres se révèlent après leur sortie officielle. Quelques mois, quelques jours, quelques semaines. Le lecteur a alors une chance de découvrir des textes qui viennent à sa rencontre, lui racontent une histoire, dialoguent, le saisissent par une écriture, une délicatesse. Il a cette chance folle de rencontrer des mots, une écriture, quelque chose de beau, quelque chose qui est lui, en lui, réveille, le réveille, lui susurre, le suture. Et le beau, le temps sont ce que nous avons besoin. Laisser la beauté s’installer, laisser le temps à nos cœurs inquiets, à nos cœurs fatigués, las, désolés, de retrouver la grâce, la délicatesse, la force d’un texte qui se découvre par sa fragilité, sa vibration, son évocation, ses émotions. Apaiser et grandir, devenir, être. Apprendre et comprendre, vivre, revivre.


Les cœurs inquiets est un roman, une lecture gracile, fragile, belle. Il n’y a rien de trop ou de pas assez. Juste un trait, un pinceau fin traçant un texte qui se pose, devient, prend forme, questionne, embrase. Une beauté effleurée, silencieuse, un cri de création, un cri secret d’une femme pour un homme, un cri d’amour se moquant de l’absence mais l’absence se rappelant à l’amour. La part manquante et la solitude.


« Prends garde aux fêlures cachées. Ne réponds pas à la sécheresse par parcimonie, ne choisis pas la fureur contre la bourrasque, ne laisse pas le silence habiter la solitude. Ne te ferme pas »

Il me serait facile de vous raconter ce texte. Mais Lucie Paye a réussi là où d’autres prennent la liberté de ne pas croire au pouvoir de l’art, de ne pas comprendre la force du regard qui se pose sur une peinture et donne l’injonction de créer, devenir, de donner du sens à ce qu’on est. Elle force, plonge dans les entrailles de la création, de l’amour donné et absent, dans la profondeur des sentiments, dans la solitude et l’embrasement, la quête d’une vérité, de la vérité. Elle puise dans la poésie, la douceur, la douleur, pose chaque mot comme se pose le trait sur le papier, comme devient force la sensibilité.


L’écriture devient au fil de la lecture, une narration, un jeu de miroir, prend son envol, laisse percevoir son émotion, sa poésie, sa mise en abime. Le texte prend corps, transportant au-delà du mot, réconforte, grandit, vibre. Le mot et la peinture, le texte et l’art se rencontrent, deviennent des émotions pures, création. Tout devient sens, émotion. Il y a comme une révélation d’une âme, un hommage à l’art, à ces peintres qui nous construisent, nous foudroient par ce qu’ils nous donnent, nous transforment. Inconsciemment, puissamment, charnellement, émotionnellement.


Il y a la beauté dans ce roman. La beauté de ce qui ne se dit pas, la beauté de ce que l’on devine, de l’intuition. La beauté des failles, des personnages, des inquiétudes, de ce que l’on perçoit. La beauté des cœurs inquiets.


« Marc a tort de chercher dans le monde l’explication de ses toiles. Celle-ci réside ailleurs. Elle est dans ce magma intérieur où il se laisse glisser. Une autre réalité accessible seulement par cet autre langage. Un langage vivant, spécifiquement humain, celui de la peinture, de la musique, de tous les arts. Sans frein, sans interdit, sans limite que celle imposée par l’honnêteté. Et ce n’est pas un soliloque. Tout juste un monologue. Parler seul, mais s’adresser à tous. Oui, il faut écarter le rideau, sans gêne, car ce n’est pas du narcissisme. Ce n’est pas de l’amour de soi. Non, ce n’est même pas l’excuse de prétendre passer du particulier à l’universel. C’est une compulsion, une nécessité humaine. La respiration de notre grand bordel intérieur d’humains. Sans quoi l’on ne vit pas. Il faut l’offrir, généreusement, et que d’autres en prennent possession. C’est pour ça qu’il peint, qu’il enfante ses toiles. Le reste n’a pas de sens, pas de valeur. Il ne sait faire que ça de vrai. »

« Les cœurs inquiets » de Lucie Paye fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2020. A retrouver sur le site, toutes les chroniques et les diverses opérations menées.




Les cœurs inquiets

Lucie Paye

Gallimard



Alberto Giacometti

Sabine Weiss - 1954

Fondation Giacometti

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