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  • Photo du rédacteurSabine

Lomig - Dans la forêt


« Bien sûr ce genre de choses arrive. J’ai suffisamment étudié l’histoire pour le savoir. Que les civilisations percutent. Que les sociétés s’effondrent. Il n’y a qu’à regarder Rome, Babylone, la Crête, l’Egypte, les Incas ou les Indiens d’Amérique. Finalement l’électricité n’aura été qu’un accident passager d’à peine deux siècles. Autant dire une poussière de temps à l’échelle de l’histoire de notre monde. Eva et moi faisons désormais partie d’une époque révolue. »

La côte ouest des Etats Unis d’Amérique, San Francisco à quelques encablures, au Sud. Au Nord les grands parcs canadiens. L’immensité forestière. L’eau et les torrents rivières fleuves. Les séquoias géants aux souches immenses et mystérieuses. Les ours et cerfs. La forêt à perte de vue comme pour mieux se protéger de la vie et de ses colères, la colère des hommes, la perte des civilisations et de son humanité, de ses fois et croyances en un monde à construire, à inventer. La forêt profonde, sauvage, rendue à sa nécessité primaire, celle de protéger et nourrir.


Réfugiées dans leur chalet, recluses dans une clairière entourée de chênes et autres conifères, Eva et Nell, jeunes femmes tout juste sortie de l’adolescence et des premiers émois, vivent au cœur de la nature, sans contact avec l’homme depuis que l’électricité a disparu, depuis que leur père et mère sont décédés, partis pour ne jamais revenir. Survivre coûte que coûte dans la patience et la passion de ce qui les tient debout. Survivre en s’appuyant l’une sur l’autre, en unissant leur force et faiblesse, leurs émotions et fragilités, leurs vies. Etre vivante. Continuer à vivre malgré la fin du monde rampante, malgré les menaces qui rôdent, malgré la cruauté et la lâcheté des hommes, la sauvagerie et les peurs. Vivre, survivre. Dans la forêt, inépuisable richesse et abri, inépuisable centre de vie et de liberté.


Dans la forêt.

Il m’est difficile de vous parler de ce roman graphique tellement la réussite du projet est là, dans le graphisme et la beauté du trait, du crayon, de la qualité de l’objet.


On entre dans l’histoire en ayant en tête le roman de Jean Hegland, avec sa cruauté, sa tension, la sauvagerie de l’homme et l’étouffante atmosphère de la forêt. On entre en ayant l’idée que Lomig va devoir composer avec ce chef d’œuvre du roman d’anticipation, celui qui glace le sang et fait prendre son sac pour tenter de survivre et bâtir un autre monde.


Il aurait été simple d’en faire un copié-collé tellement Hegland nous avait construit un décor. Mais Lomig a réussi le tour de force de créer son propre univers, de s’inspirer des mots de l’écrivain et d’en faire son cadre, de tirer profit de sa mine de plomb, de son crayon sépia-noir/gris pour en faire un graphisme somptueux. Un dessin où la dramaturgie de roman renait, prend grâce, délicatesse, raffinement et hauteur. Les émotions surgissent, la grandeur de la forêt et de sa nature prennent son ampleur. La sensibilité du monde primaire se découvre au détour d’un trait, du crayonné, dans le mouvement d’un nuage, de la cime des arbres, dans la rugosité des troncs.


On lit, on relit pour l’histoire qui nous prend aux tripes et le dessin qui la galvanise. On se surprend à regarder, à observer le vent jouer dans les feuilles, à contempler la trace de l’ours qui rugit devant Nell, la sensualité des corps des jeunes femmes, de leur force de caractère et de leurs fragilités émotionnelles. Il joue avec les vues, les plongées et contre-plongées, les paysages grandioses et immenses nous emportant dans ce retour aux sources de la nature, à la source de la forêt. Tout est gracieux, délicat, à fleurs de peaux et de nature, comme pour mieux disparaitre au détour d’une fin du monde, d’un coup de gomme, d’un trait de crayon trop haché. Et là où il aurait été simple d’en faire une fin du monde aux couleurs explosives, Lomig rend ce roman toute la grandeur de son décor, du graphisme.


« Je sentais quelque chose d’autre. Partout autour. Une chose que je n’avais encore jamais remarquée. Une force douce et paisible qui m’enveloppait tout entière. C’était comme si telle une mère avec son enfant, je me laissais aller… sans résistance aucune et le cœur infiniment calme. Je n’étais plus si seule ni angoissée ni vulnérable. Ma peur m’avait quittée. J’étais en paix. »


Dans la forêt

Lomig

Sarbacane




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