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Lisa Balavoine, Pierre Théobald - Sms à

Les absences



[De : Lisa. Mer 3 fév 08:42]

C’était beau cette nuit.

Je ne m’attendais pas à toi, pas à toi comme ça, pas à nous de cette manière-là.

La nuit, ta peau que je respire, ton corps que je parcours des mains et puis toi, entièrement en moi, mes jambes qui tremblent et ta langue dans ma bouche.

Tu es parti si vite ce matin. Je voudrais que tu reviennes. Je t’attends.


[De : Pierre. Mer 3 fév 08:54]

Quand j’ai ouvert les rideaux, tu n’as pas bougé. Alors j’ai filé sur la pointe des pieds, sans une douche, sans même un café. Je n’avais pas le cœur à te réveiller.

Je n’avais pas le cœur à partir, en vérité.

Ne cherche pas ta culotte. Celle que tu portais. Ne la cherche pas. Elle est avec moi, au fond d’une poche dans mon blouson. Je te voulais encore, à pleines mains, partout sur mes doigts. Je voulais encore de toi.


[De : Lisa. Mer 3 fév 08:59]

Dire qu’hier je ne te connaissais pas. Aujourd’hui tout me fait penser à toi.

Je m’emballe hein. C’est fou, ça ne me ressemble pas.

Écris-moi dès que tu peux. Quand tu veux. Tes mots, comme tes gestes, ils me bouleversent. Enfin c’est toi plutôt, tu me renverses.

(Je n’y pensais plus à cette culotte. Tu me l’as enlevée si vite, j’ai tant aimé sentir tes doigts faire glisser le tissu sur mes cuisses. J’ai failli jouir tout de suite tu sais. Tu peux la garder, ça me plaît de me savoir à nouveau entre tes mains.)


[De : Pierre. Mer 3 fév 11:21]

Je sors d’un rendez-vous avec un fournisseur. Comment dire… C’était surréaliste. Aussi longtemps qu’il me parlait, tu étais avec moi. La main dans la poche, un peu de toi capturé. Ton odeur, cette part de toi. Tu étais avec moi.

J’écoutais, j’ai fait mine de l’écouter, sans rien entendre du tout. Mes doigts t’espéraient. Te réclamaient. L’autre, il pouvait bien me raconter tout ce qu’il voulait, il n’y avait de place que pour toi dans mes pensées. C’est un gros contrat pourtant.

Je me suis demandé : avant hier soir, tu avais des habitudes dans ce café où l’on s’est rencontrés ?

Et le carnet ? Ton carnet noir. Posé devant toi quand j’ai rejoint ta table. Tu l’as rangé, puis quand je t’ai demandé tu as esquivé. Maintenant, tu me dirais ? Tu me dirais de quoi il s’agissait ?

(Là je suis dans la rue, je marche vers la voiture. Je n’avais jamais foutu les pieds dans cette ville. C’est d’un triste… Pourtant je souris. Un peu connement. Le souvenir de ton cul. Je souris. Tu me verrais…)


[De : Lisa. Mer 3 fév 11:46]

C’est mon café favori, pas loin de mon boulot, et puis ils passent souvent de la vieille pop anglaise, j’aime bien. Le carnet, je ne t’en ai pas parlé parce que je suis un peu superstitieuse, mais j’écris quelque chose, un roman je crois, l’histoire d’une fille un peu perdue, une fille un peu comme moi, voilà c’est tout bête tu vois, c’est rien de plus que ça. J’ai presque terminé, personne ne l’a encore lu. Si ça te tente, je veux bien te lire le début. Mais seulement si tu en as envie, et seulement si on est au lit et nus.

Tes mains me manquent.

Tes mains qui empoignent mes hanches et me retournent vers toi. Tes mains et puis tes yeux qui me bouffent toute crue. Et puis ta bouche, putain, ta bouche, je la veux.

Fou comme je pense à toi. J’arrête pas.


[De : Pierre. Mer 3 fév 12:24]

Ce soir ? Ce soir, chez toi ? J’ai un dernier rendez-vous en fin d’après-midi, ensuite je peux te rejoindre.

Je ne lis pas, moi. Jamais. Je ne sais pas lire. Je veux dire : je ne sais jamais quoi lire. Les livres ne sont pas pour moi. Mais te lire toi, je veux. Apprends-moi.

Te lire. Te découvrir. Toi. Tes mots. Ton cul.


[De : Lisa. Mer 3 fév 12:47]

Oh oui, lis-moi. Avec tes yeux, tes mains, ton sexe. Chaque ligne, chaque centimètre carré de ma peau. Lis tout. Mets-moi toute nue. Et lis-moi comme si tu n’avais jamais lu avant moi.

Il y a quelque chose non ? Quelque chose de différent.

Un truc avec nos peaux, cette façon de nous toucher, cet incendie quand tu m’as prise. J’ai cru mourir tant tu me faisais flamber.

Je n’ai pas rêvé ?

C’est impossible.

Dis-moi que je n’ai pas rêvé.


[De : Pierre. Mer 3 fév 13:01]

Cette histoire de feu, c’est exactement ce que je me suis dit ce matin, au fond de moi : cette nuit, tu t’es brûlé. Cette fille, c’est un feu. Un immense feu de joie.

J’entre en réunion dans 5 minutes, ne m’en veux pas si je ne réponds pas. J’enchaîne avec mon rendez-vous. Ensuite, je viens. J’ai retenu le code d’entrée de l’immeuble. Ne me demande pas comment, vu le nombre de verres vidés. Mais je l’ai en tête : C07H44.

Mon sésame vers toi.


[De : Lisa. Mer 3 fév 13:04]

Viens. Vite. Je t’attends.


[De : Pierre. Mer 3 fév 13:07]

(PS : ta culotte. Ta culotte, je ne te la rendrai pas.)


[De : Lisa. Mer 3 fév 13:09]

(Elle est à toi.)


[De : Lisa. Mer 3 fév 22:42]

Pierre, qu’est-ce que tu fais ? Que se passe-t-il ? Je n’en peux plus de t’attendre, tu ne me dis rien. Je m’inquiète.


[De : Lisa. Mer 3 fév 23:47]

Pierre ?

[De : Lisa. Jeu 4 fév 00:24]

Sérieux ? Il se passe quoi ?


[ De : Lisa. Jeu 4 fév 01:48]

Je ne comprends pas. Tu ne viendras pas c’est ça ? Mais réponds putain !


[De : Lisa. Jeu 4 fév 02:53]

J’avais ouvert une bouteille. Je l’ai finie. J’en ai ouvert une deuxième. Je suis en train de la finir.

C’est un peu lamentable.

Je t’attendais, j’avais tellement hâte de toi.


[De : Lisa. Jeu 4 fév 09:07]

Alors on en reste là ? Un coup d’un soir ? C’est tout ce que je suis pour toi ? Et le feu entre nous. Le carnet. Mes mots que tu voulais connaître. Soudain plus rien ? Même pas un mot ? Comment ai-je pu me tromper à ce point sur toi ?


[De : Lisa. Jeu 4 fév 19:58]

Je suis retournée dans le café. À la même place. Comme mardi soir. À la même table.

Je t’attends.


[De : Lisa. Jeu 4 fév 22:02]

Ton silence me rend dingue.

Comment peux-tu me faire ça ?


[De : Lisa. Jeu 4 fév 23:09]

J’ai écrit ce soir. Au café. Notre café. Il y a eu ce titre des Smiths à un moment. There is a light that never goes out. J’ai écrit. Sur le carnet. J’ai eu envie d’écrire notre histoire, celle d’une nuit. La fille perdue tu sais, la fille abandonnée.

Le morceau des Smiths s’est arrêté. J’ai continué d’écrire, sans vouloir m’arrêter.

Je ne comprends pas. On ne s’était rien promis, je sais.

Mais juste me dire pourquoi.

Pourquoi ?


[De : Lisa. Ven 5 fév 01:12]

Tu t’es bien foutu de ma gueule.

J’en reviens pas.


[De : Lisa. Ven 5 fév 04:51]

J’écris sur nous tu sais.

Je te couche sur le papier, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour t’oublier.


V., le 18 mai 2019


Chère Lisa,


Je vous ai lue hier soir.

C’est peu dire que « Les absences » m’a bouleversée.

Je quitte votre livre avec le souffle coupé.

Nous nous connaissons, le saviez-vous ? Enfin, je vous connais. Privilège du lecteur sur l’auteur. De la lectrice. Sur l’auteure.


Cela remonte à présent. Quinze mois, pour être exacte. Quinze mois. J’ai l’impression d’une vie…

Nous nous connaissons, de manière détournée. Vous avez rencontré mon homme, mon Pierre, feu mon mari (quelle tournure épouvantable). Comme je vous le dis : même sans alliance, mon mari. Vous l’avez rencontré bien avant que je vous rencontre, à travers votre livre.


Pierre…


Je n’ai pas saisi tout de suite, comprenez bien. Les rares pièces du puzzle, j’ai mis quelque temps à les assembler. J’ai eu des doutes, ça oui. Des questions. Des angoisses. Des angoisses délirantes lorsque deux gendarmes en uniforme m’ont remis les effets personnels de mon mari récupérés dans l’accident. Une serviette en cuir pleine des contrats et de la paperasse professionnelle dont Pierre ne se séparait qu’à contre-cœur, cette serviette que j’avais emballée dans un papier cadeau brillant le soir de ses 35 ans, au mois de septembre 2016 ; un stylo Mont-Blanc, luxe risible, de l’ordre du caprice, qu’il s’était lui-même offert après la signature de son tout premier contrat ; son téléphone, intact, à peine déchargé ; une petite culotte, imitation dentelle, noire, modèle tanga, taille 36, retrouvée dans une poche de blouson avec un paquet de Kleenex.


Le soir de l’accident, comme plus tard dans la nuit, l’écran de son téléphone s’est illuminé plusieurs fois de textos en provenance d’un numéro ne figurant nulle part dans son répertoire.

Le soir de l’accident, comme plus tard dans la nuit, j’ai longuement inspecté la petite culotte.


Moi, je taille du 38.


À plusieurs reprises j’ai été tentée d’appeler le numéro associé aux textos afin de mettre une voix sur la propriétaire du minuscule tanga.


Et hier soir je vous ai lue.


Page 159, page 160, page 161… Cette nuit avec Pierre… Pierre B., ainsi dénommé sous votre plume. Cette nuit consignée dans votre roman, sur trois pages. La rencontre dans ce bar de V. – ironie – que je fréquente moi aussi, en semaine, avec un café et le journal du matin ; la serviette en cuir déposée sur la console de l’entrée, chez vous, avant de vous empoigner ; le Mont-Blanc tombé de la poche du presque inconnu alors que vous aviez déclenché les hostilités ; l’incendie en lui, l’incendie en vous, « l’incendie partout, incontrôlable, une traînée de flammes » ; le vol de petite culotte au matin ; les textos lancés dans le vide, deux jours durant…


Pierre est mort sur le coup, les gendarmes me l’ont assuré. En d’autres termes, il n’a pas eu le temps de souffrir.


Tout le monde ne peut pas en dire autant.


Avec toute mon admiration sidérée,


Hélène Brosset


La première fois, c’est Pierre qui m’a contactée. Par écrit. Pour me dire qu’il m’avait lue, sur les conseils de sa libraire. J’ai pensé à une tentative de drague, ce qui ne m’a pas déplu, étant donné que le mec écrit plutôt bien. Nous avons entamé une correspondance, par mail. Et puis on s’est appelé, souvent très tard, Pierre est sujet aux insomnies. J’ai adoré sa voix dans la nuit, je suis limite tombée amoureuse de cette voix, c’était pas banal, j’ai aimé ça. Ensuite on s’est rencontrés, on a passé une journée à Paris, ça a pris une autre tournure. On a choisi de devenir amis, c’est bien aussi amis, souvent c’est plus costaud que le reste.


Ce que j’aime en lui, c’est le mec dont je connais quelques secrets, le mec que je devine en creux derrière ce qu’il écrit, ce qu’il écrit si bien, le manque, l’absence, le désir, la peau. J’aimerais bien savoir écrire les choses comme lui. C’est un type qui cherche, qui creuse, qui fait parfois fausse route, qui rectifie le tir, qui trace un chemin. Et moi j’ai envie de le suivre, longtemps si possible.


Je ne saurais pas trop définir notre lien, peu importe, ça nous appartient. Je crois qu’on s’écrit juste pour ça, pour nous inventer une histoire qui nous fasse du bien.


Lisa Balavoine

C’est parce qu’elle écrit qu’on s’est trouvés. Lisa venait de publier un extrait d’“Éparse”, c’était dans la revue “Décapage”, son texte m’avait été collé d’autorité entre les mains. “Lisez ça !” Il est des libraires qui savent y faire. Et qui ne se trompent jamais.


Ensuite, je lui envoyé un mot sur les réseaux.

Régulièrement on a échangé.

Au fil du temps on s’est rapprochés.


Perso, je bidouillais des nouvelles rapides, des premiers jets dans mon coin. Sans me méfier. Sans rien envisager. Lisa a intrigué. J’ai été mis devant le fait accompli : un matin, elle a transmis mes histoires à Charlotte, son éditrice – “pour avis”, m’a-t-elle dit. Un an et demi après “Éparse”, “Boys” a vu le jour. Dans la même maison d’édition, veillé par la même éditrice.


Voilà.

On s’est rencontrés comme ça, Lisa et moi. Avec ses mots qui auraient pu être les miens.


La semaine dernière, j’ai passé deux jours chez elle. On a bu beaucoup de rosé. Ce ne sera pas la dernière fois.


Pierre Théobald



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