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Lisa Balavoine, Constance Joly - Lettres à (3/6)


Montréal, jour inconnu.



Tu me cueilles au lever du soleil et je quitte à peine l’hiver. Je lis tes lettres en faisant chauffer de l’eau dans une vieille bouilloire en émail, cela me rappelle ma grand-mère. J’ai enfilé une paire de grosses chaussettes de laine grise, elles sont toutes peluchées au talon, mais il fait si froid que peu m’importe la sexytude matinale. De toute façon, les années passant, j’y ai renoncé. J’ai l’âge qui galope plus vite que mes désirs et sa cavalcade ne saurait s’achever que sur un cul-de-sac. C’est écrit quelque part depuis des lustres : le thé noir infuse plus vite que la science pour les filles comme moi. Je ne sauverai pas ma peau, je le sais, alors je lui tiens chaud comme je peux, c’est déjà ça de gagné. Et tiens, en parlant de cul-de-sac, il y a un groupe d’ici, deux sœurs, qui en ont fait une chanson :

ça ressemble à rien que tu connais, c’est même pas sur la map

ton p’tit cœur faut le laisser aller au débrayage

Alors c’est pile ce que je fais, depuis des mois que je suis planquée ici, je débraie.


Tu avais raison, j’ai fait l’amour cette nuit. C’était plein de sel, de sève et de feu. Le magma dont tu parles mais à hauteur de draps. Il faut savoir saisir les étincelles à la racine, et elle est souvent là où tout commence et tout finit, dans un lit. La naissance, la mort, le chemin qui mène de l’une à l’autre. Une épopée, en vérité.


Ton histoire d’oiseau est fascinante. A ta place, j’aurais eu la trouille ! Je suis un peu niaiseuse comme on dit ici et les volatiles me mettent mal à l’aise. Je crois que j’aurais hurlé s’il avait passé le cadre de ma fenêtre. Pourtant, je comprends que tu y lises un signe, à croire que je ne suis peut-être pas aussi agnostique que je l’imaginais. « Like a bird on a wire”, chantait Léonard Cohen, « I have tried in my way to be free”. Peut-être n’est-il toujours question que de cela finalement, nous offrir la liberté. C’est ce que je tente de faire depuis que je suis installée ici : me libérer de tout ce qui me retient encore d’exister.


Et sinon, tu m’as fait rire avec ton linceul-culotte. Sais-tu que lorsque je suis allée répandre les cendres de ma mère dans la baie, j’ai dû retirer mon jean et mes baskets pour m’éloigner du bord et que j’ai été ensuite surprise par la montée des eaux ? J’ai fini ce jour-là à moitié nue. C’était un dimanche de juillet, je venais de dire adieu à ma mère et j’étais en culotte. La vie a ceci d’incroyable qu’elle rend tout étrange, qu’elle nous fait rire aux moments les plus graves, qu’elle nous bouscule pour nous empêcher de tomber.


Je pense que cet oiseau est venu jusqu’à toi dans un but précis : te confier ses ailes. Et je sais que tu en feras bon usage. De toutes mes amies, tu es celle qui ressemble le plus au ciel.


Mais le jour est tout à fait levé ici. Il fait -10 dehors. Le thé aussi a refroidi. Je vais préparer des pancakes au sirop d’érable. J’ai toujours aimé les clichés.


Je t’embrasse,

à gros becs, encore une histoire d’oiseau,

L.




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