Je ne sais pas trop comment commencer cette lettre, peut être la liras-tu, peut-être pas. Comment savoir ? Peut-être qu'en t'écrivant, je ne fais que m'écrire finalement, écrire des mots sur d'autres mots, des images, une vie. Ne pas oublier. Peut-être que oui, nous passons notre temps à nous écrire en écrivant, nous regardant au lieu de regarder ?
Comment commencer, imager ?
J'aurais pu te raconter cet hier, cet avant-hier, ces jours d'avant et ces pas perdus dans un musée à chercher à comprendre pourquoi l'image, sa lumière, les couleurs, le blanc dans le noir, le noir dans le blanc, les mots entendus qui sont venus se poser là, tu sais cette niche posée dans la cage thoracique. Cette niche qui nous pousse à souffler, respirer, inspirer, vivre. J'aurais pu te raconter sa présence, son écoute précise et attentive, cette sensation incroyable d'être entendue, traversée, entourée, accompagnée. Ce vertige d'être prise par une main, l'autre nous poussant délicatement dans le dos en répétant « tu as en toi ton propre regard ».
J'aurais pu te raconter
l'errance dans une ville.
les pavés.
les mélanges architecturaux.
les siècles traversés.
Tout ce qui se dit, se devine, s'infuse.
J'aurais pu.
J'aurais aimé que tu entendes ce qui m'a touchée ( tu vois finalement je ne parle que de moi ) « tu es une photographe de l'intime ». Ouvrir la faille. Moi la pudique, la discrète. Des images de l'intime. Ce quelque chose qui se pose dans mon regard et que j'offre pour en dévoiler une lumière, une histoire à se raconter. J'aurais aimé que tu entendes ces mots, la clarté, la certitude : l'intime-intimité.
J'aurais pu te dire que cette journée infuse et donne matière à l'établi, l'atelier. Que les images se poncent, travaillent, que les grains jaillissent, deviennent rugueux, doux, la lumière se cultive dans le noir ou le blanc, la beauté se fabrique. J'aurais pu. Je sais que tu peux comprendre. Ce fil amène aux mots qu'on dépose parce que ce besoin d'écrire, aux images parce que ce besoin de lier. Cet hier-avant-hier qui fait qu'aujourd'hui sera demain. Peut être pas un lendemain mais un demain. Je ne sais pas trop. Mais je sais où ira mon regard. Je sais aussi où iront tes mots.
En attendant, je pars dans mon jardin chambre noire-claire. J'ai vu quelque chose qui est venu se poser là, tu sais entre l'aorte et les ventricules. Entre tes mains et mon regard.
A tout vite, je t'attends.
A l'atelier
Lettre à
Sabine Faulmeyer
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