« Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant le lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existe pas. »
Stig Dagerman,
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
Actes Sud, 1998
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Le vent, à force de fureur, était finalement parvenu à nettoyer le ciel. L’horizon dégagé d’un bleu franc, venait s’émousser contre la crête grise des montagnes, anguleuses et rectilignes. Un ou deux sommets étaient parsemés de blanc. Un peu de neige reflétait l’éclat métallique de l’azur. Il était une de ces fourmis qui disparaissait dans la lumière aveuglante de la crête ensoleillée. Il se trouvait au sommet, du côté de la route, encore sur le versant qui décongelait patiemment au soleil froid de l’hiver. Devant lui s’étalait en ombres immenses la chevelure velue et dense de la forêt grouillante dans le vent. Une mer à traverser.
Vue d’ici, elle était une masse compacte, entière, un organisme que l’on contourne sans le quitter des yeux, tout en l’observant prudemment. S’y introduire revenait un peu à commettre une effraction dans la maison d’un ours ou d’un fantôme, ou à forcer la porte de la veille bicoque abandonnée que l’on redoute depuis l’enfance. Il semblait impossible de s’enfoncer dans ses méandres hirsutes, c’était comme se risquer lentement dans des sables mouvants. La forêt s’étendait sus plusieurs collines. Elle était une sorte de solution végétale, une mousse épaisse et dégoulinante qui envahissait tout ce que ses yeux pouvaient voir.
Il n’y avait qu’elle, lui et le ciel. La survoler devait être un vrai délice, frôler ses volutes vertes et sombres, traverser comme un oiseau l’espace libre du ciel – plutôt que de s’enfoncer dans ce gouffre d’épines. S’il avait été une buse ou un faucon, il aurait pu la survoler en larges cercles gracieux, jusqu’à apercevoir une proie planquée au fond d’une broussaille et piquer net, à toute vitesse, droit entre les branches pour les récupérer d’un unique coup de bec. Et s’il avait été une buse ou un faucon, il en aurait profité pour ensuite tranquillement se laisser becqueter dans les nuages. Le bas de son dos mouillé était devenu dur comme la première pellicule de glace sur l’eau froide d’un glaçon alors il se remit en route.
A suivre...
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Le repos des épines
Texte : Thomas Vinau - Le repos des épines (ed. Les Venterniers)
Photos : Sabine Faulmeyer
Expo photos : 1er - 30 septembre 2022
Librairie La Vagabonde
31 Rue Bernard Palissy
37000 Tours
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