Les lichens étaient gorgés d’eau et de glace. Pour éviter les nœuds de branches et les pièges de piquants il avait dû se résigner à ramper. Il se retrouvait à genoux, à cinquante centimètres du sol, obligé de baisser encore la tête pour que ses cheveux n’attaquent pas les toiles d’araignées et les autres bestioles qui lui tombaient dessus. Il finit par atteindre des recoins que le soleil n’avait pas touché depuis plusieurs jours, des recoins froids, boueux et givrés, où la vie se planquait en attendant le printemps. Il s’était rêvé rapace et voilà qu’il jouait coléoptères. Avant d’arriver en bas, tout son jean était salement trempé. Tous ses vêtements étaient imbibés de sueur à l’intérieur et d’eau glacée à l’extérieur, parsemés de terre, de pourriture, de brindilles, recouverts de boue. Il n’avait pas froid, ses nerfs lui tenaient chaud. Il voulait juste essayer d’atteindre un endroit plus praticable pour se redresser, se nettoyer et se reposer un peu. Il avait plongé la tête la première dans la forêt sans penser qu’elle ne ferait qu’une bouchée de lui. Au bout d’un moment, il s’était complétement coincé, collé au sol spongieux par des lanières de ronces, les jambes accrochées par les accrocs des branches, les mains enfoncées dans la terre sale et froide, l’horizon bouché par les gigantesques bouquets piquants des genévriers. Il suait malgré le froid, respirait fort, bouche grande ouverte, expirant à grandes goulées une nuée de mondes minuscules, cosmos de poussière, de mousses, de morceaux d’insectes et de miettes de bois. La colère se diluant lentement dans son sang rougissait un peu plus ses joues déjà incisées.
Plus les échardes s’enfonçaient dans sa peau et plus il tentait de forcer le passage, de tout arracher pour sortir enfin de cette tombe végétale qui l’engloutissait à chaque mouvement. Il était en train de se faire digérer par la forêt. Ses yeux le piquaient, sa peau le grattait, des frissons brûlants lui parcouraient l’échine. Ses genoux imbibaient progressivement tout son corps de ma salive froide dont la terre regorgeait. Elle le régurgitait. La forêt avait tenté de le digérer et finalement elle le recrachait, pantelant, indigeste.
A suivre...
Ces textes et photographies sont protégés par le droit d'auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation !
Le repos des épines
Texte : Thomas Vinau - Le repos des épines (ed. Les Venterniers)
Photos : Sabine Faulmeyer
Expo photos : 1er - 30 septembre 2022
Librairie La Vagabonde 31 Rue Bernard Palissy 37000 Tours
Komentáre