top of page
  • Photo du rédacteurSabine

Laurine Roux - Une immense sensation de calme


« Un matin, un homme arrive près du lac où je ramasse les nasses. C’est lui. A une centaine de pas de moi, il s’immobilise. Un oiseau aux ailes larges traverse le ciel, Igor sourit. Mille ans de solitude et de détermination frémissent à ses lèvres. Il se tient au bas de la falaise et regarde là où les hommes ne peuvent aller. »

Un homme, une jeune fille, des ancêtres, une grand-mère inculquant des valeurs de vie et survie, disparue, une aventure, un chemin, le froid, le vent, la nuit, la lente et longue période d’un hiver perdu quelque part entre forêts et montagnes, entre plaines et landes gelées, l’amour, la mort. Un horizon loin, aux portes d’un pays où seuls quelques hommes et femmes semblent habiter, sortir tout droit d’une légende sombre. Et au loin un monde où l’hostilité humaine est foi.


On entre dans ce roman comme on pénètre dans un conte où la seule force vient de la nature, des terres gelées, du silence victorieux. Une lande perdue qui se meure entre montagnes et forêts, entre rochers et résineux. Un désert glacé et inaccessible. Une nature qui pourtant donne tout, la vie, la passion, le désir, l’amour, le charnel, la sensualité primaire, bestiale, amoureuse et nécessaire à la vie. Un monde aux confins de frontières brumeuses, étranges, impénétrables. Un monde qui se ne se laisse pas apprivoiser, donner sauf pour ceux qui comprennent le pouvoir et la force des braves, le pouvoir et la beauté des choses. Une terre où seuls quelques hommes et femmes vivent, des Invisibles, des parias, des laissés pour compte d’un monde qui ne les veut plus, les a oublié.


« Je suis une enfant qui fait l’amour avec Igor, mais aussi avec la forêt, le lac, les hirondelles du printemps, les grives de l’automne, qui se laisse choisir par la jouissance, les bras ouverts et la bouche continûment humide. […] Chaque seconde explose en fruit gorgé, chaque jour est l’orée d’un commencement. »

Il faut savoir abandonner tous repères et habitudes pour entendre cette immense sensation de calme, accepter d’entrer dans ces paysage abrupts, rugueux loin de toutes civilisations. Un monde, un univers où le temps n’a pas d’emprise. Un espace où pour vivre il faut accepter d’être démunis, se frotter aux désirs, jouir de l'instant, entendre la mort prendre possession des corps, de la vie, lutter comme on lutte à mains nues avec les éléments naturels, l'animal qui est en nous. Le décor d’une histoire qui nous transporte aux seuils de la mort, de l’amour, de la vie.

Et de cette histoire, qui pourrait sortir d'un conte ou d'une légende scandinave, mythologique, jaillit la lumière, la puissance des rapports, la densité des relations et de cette transmission ancestrale entre un peuple Invisible et ce couple qui affronte la rudesse de la vie aux limites d'un cercle polaire. Une lumière éblouissante, somptueuse, peuplée de mille éclats, d'un amour infini, de gestes comptés et remplis de sens, d'humanité. moindre instant, entendre la mort prendre possession des corps, de la vie, lutter comme on lutte à armes inégales avec les éléments naturels, avec l'animal qui est en l'homme.


« Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d’éclat. »


L'écriture poétique, magnétique, quasi chamanique, charnelle, envoutante de Laurine Roux nous transporte, nous propulse auprès de ceux qui connaissent l'amour et la mort, le côtoiement infime et la lumière qui amène vers la paix en soi.

Laurine Roux nous livre la sensation absolue d’un univers envoutant, d’une nature triomphante. Un monde noir, sombre, ténébreux, glacial, d'où ressort une lumière, une injonction aux désirs amoureux primitifs, à ce qu’est la vie dans son trouble naissant. Une communion d’esprit et de corps, d’âme et d’intériorité. Une écriture où la puissance d'un monde hostile devient comme rempart, une île lointaine où nous rassembler, nous ressourcer, apprendre, entrer en communion. Une écriture qui sublime un monde loin de tout, loin d’une terre désolante, d’humains inhumain, comme un réceptacle à ce besoin immense de s’unir dans « une immense sensation de calme », de se laisser séduire par les mots, le calme.


« Ecoute le chant du monde. Il gémit chaque jour de ces amours impossibles. Dans leur corps-à-corps, ta mère poisson et ton père créature de la montagne ont défié la nature. A jamais tu seras mi-homme, mi-animal, car sur ton berceau chacun a versé ses vœux. Tu as l’achèvement du monde en héritage. Livre ce combat sans merci. Ne laisse ni les flots ni la terre te submerger, car ta chair doit boire le limon autant que respirer les eaux. Enfin seulement l’équilibre du monde sera rétabli, enfin seulement tu seras en paix. […] Nous sommes seulement de passage. »

« Une immense sensation de calme » de Laurine Roux fait partie de la sélection des 68 premières fois, éditions 2018. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées, en cours ainsi que les diverses opérations menées.



Une immense sensation de calme

Laurine Roux

Les éditions du Sonneur



5 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page