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Karine Le Nagard - Lettre à

Il m’a été offert de t’écrire une lettre.

Devant mon écran, je réalise l’incongruité de la situation.

Je n’ai pas de nouvelles à te donner. Tu sais tout de moi.

Tu es grand et vieux de millénaires et moi minuscule.


Je n’ai pas le talent pour déclarer des flammes et glorifier tes atouts. Tant d’autres l’ont déjà très bien fait ; et quotidiennement tes amoureux te flattent à l’ère de notre communication folle.

Je ne suis qu’une enfant bien démunie et pire encore qu’une adulte orgueilleuse en mal d’inspiration, et les mots m’échappent à t’adresser une parole.

Notre histoire n’est-elle pas muette depuis toujours ?

(…)

Elle s’est tissée toutefois sur le plus beau des silences : le tacite.

Car tu savais.

Et tu m’as recueillie.

Sans factice ni détours, dans la réalité brute d’une beauté sans séduction, tu m’as ouvert ton espace.

Tu m’as reconnue toute entière, avec mes pleins, mes vides et mes blessures.

Tu savais.


Enfant, je consolais la peine que je ne pouvais déposer nulle part ailleurs, en ton sein, face à l’horizon que tu ouvrais de tous les possibles.

La peine….ce chagrin étouffé que je partageais avec toi en prononçant des phrases dont je ne saisissais pas la portée, en pleurant une tristesse dont je ne mesurais pas la détresse. Tu étais là, tu savais pour moi, tu étais mon dépositaire quand mon inconscient me détournait délibérément d’un présent trop lourd.


Chaque été j’ai pu me ressourcer, recharger le minimum de ce qu’il me fallait pour affronter debout les trois autres saisons.

Parce que tu me savais toute entière et pas en demi-teinte.

J’ai compris mon vivant grâce à toi.


Il y a peu je suis partie loin, très loin. Quand je me suis arrachée à toi, toi auprès de qui je m’étais pourtant installée, j’ai craint que la séparation ne m’effondre.

Je me trompais. Je ne t’ai jamais quitté ; tu ne m’as jamais abandonnée. Je suis imprégnée de tes ciels, de tes bleus et gris, de tes mimosas et joncs d’ors au soleil, de ta Majestueuse, de ton granit et de tes pins. Tu ne m’as jamais échappé. Tu es ancré et je t’ai emporté.

Au jour de mon retour, je n’ai pas été submergée. L’émotion était trop grosse, comme la vague qui n’en finit pas d’ourler, d’arrondir son dos du très loin d’où elle vient. Du fin fond de ce grand océan elle a voyagé et a amassé ses larmes de sel. Dans le silence dont seule l’eau a le secret, elle a enroulé son chagrin, elle a enserré le creux de ton absence et a nagé tous ses kilomètres jusqu'à aujourd’hui où je suis là, près de toi.


Alors quand enfin je me suis blottie dans tes bras, quand j’ai fendu lentement l’étoffe de ton Aimée et que je me suis glissée toute entière dans son écrin scintillant, la vague a fini son trajet, a écrasé son flot de sanglots écumés et en a inondé la béance du manque.

J’étais de nouveau là où je suis bien.

Quand je suis revenue, je ne t’ai pas retrouvé, puisque je ne t’avais pas perdu.

Quand je suis revenue, je me suis rassemblée.


Du plus lointain de ma mémoire trouée, tu veilles de ta lumière comme un phare planté dans mon sternum.

Où que je sois.

L’ami qui écoute sans mot dire. Celui qui en continu me montre le beau et me prouve la douceur d’un monde.

Tu m’as rattachée à l’infinie poésie de la vie pour que le piège du vile ne se referme pas.

Et tu m’as confié à Elle.


M’asseoir en face et converser dans sa musique ; batifoler à ses pieds en creusant le sable ; courir après les vagues et rire de se faire rattraper ; apaiser les morsures du soleil à la fraîcheur de sa robe ; flotter à sa surface et délester le corps de son poids; laver ses plaies, fouetter et enrober sa peau dans son eau vive… Dans toutes ses teintes, dans toutes ses humeurs, son va-et-vient incessant, son pouvoir et son immensité, je me sentais du haut de mes trois pommes déjà humble et honorée devant cette Reine dont je captais la puissance mais aussi la sagesse de ceux à qui on ne la fait pas. Pas un jour sans la saluer, sans l’aborder, la longer, m’y mêler. Pas un jour sans la remercier. Elle est alors la seule à ne pas faillir, à ne pas fuir. Elle oppose aux dénis des hommes la vérité de ce qui est et contre quoi on ne peut rien opposer. Mon rempart à la folie.

J’encre des mots sur une page blanche qui ne me répond pas

Un peu comme toi.

Tu les savais déjà ces mots. Tu les avais déjà entendus avant que je ne les bafouille ici.

Tu n’en as nul besoin.

Enfant timorée ou adulte vaniteuse, je t’aurais flatté comme la foule et me serais complu dans l’idée d’un lien singulier et privilégié. Monologue autocentré, adresse miroitante…quelle importance ?


J’écris à un Tu qui donne vie à un Je.

J’écris à un Toi qui abrite un Moi.


Je me réaccorde à la guise de tes vents sifflés, je me couleure à tes éclaircies et m’énergise à tes tempêtes.

Mon pays.


Elle me rappelle à l’essentiel. Que je suis une parmi millier d’autres mais une quand même. Je m’allège dans ses brassées et m’articule un corps dans un effort flotté. Elle force le respect à se garder aussi pour soi.

Ma mer.


Mon pays et ma mer, je t’écris à toi mon ici.


En ton endroit, je ne m’inverse ni ne m’éparpille plus.

Tu es le centre d’où je peux rayonner. Qu’importent les distances et la vitesse, je tourne ma roue de ton point zéro et souffle ma voile de ton port d’attache.

Mais ma pudeur se crispe. Ai-je brisé le tacite ?


J’ose croire que j’ai continué à déployer ma parole dans notre silence dialogué. Tu m’y invites depuis toujours comme on pousse un enfant à s’élever. De ton écho marin à mes mots cachés, je réponds à ton appel.


Mon pays et ma mer. Mon ici où que j’aille.



Karine Le Nagard


Ma chère Karine


Je t’écris ce matin, à la lueur de la lune pleine encore présente. Je t’écris et je pense à tes mots, à ton océan, à cet être qui nous restructure l’une et l’autre, nous rééquilibre, donne notre ligne d’horizon, à ces vagues qui reflètent notre corps, à cet apaisement qui surgit à l’improviste devant sa force et sa beauté, sa puissance régénératrice, son émouvante fragilité éphémère.


Je t’écris en pensant à lui, à tes rochers, tes genêts, tes plages de galets et de sable, ses criques, ses phares, la pierre et ses mille composants, ses montages noires. Je t’écris et me ressurgis sa douceur et son amour, sa simplicité et cette envie soudaine de le toucher, de me mettre toute et entière, m’en remettre à lui, atteindre le rocher, la bouée, la dernière avant la liberté, les possibles infinis, avant de revenir m’étendre sur la plage, repue et rassasiée des vertiges aquatiques.


Je t’écris et je pense immanquablement à ces mots-photos que l’on dépose dans nos têtes, toi et moi, chacune de notre côté, de par et d’autres de notre repère. Toi dans ce monde hivernal, glacial et étranger, loin de tes repères et ton pays Armorique, moi dans ce monde où j’ai besoin de temps marin pour y puiser mon énergie. Les mots, les phrases, ces bouts d’histoires que tu construis, mets bout à bout, alignes sans bruit mais avec une certaine fureur qui n’ose se dire. Tu écris et c’est beau. C’est beau de voir l’écorchée que tu es, devenir, s’écrire, écrire, se bâtir, voguer. C’est beau de ressentir le ressac, la tempête, les grandes marées, les flots, flux et reflux, le grouillement « foisonneux » de ta pêche, les mascarets. On y perçoit l’écho des écritures qui se cherchent et prennent leur élan vital, leurs ressources dans les grands fonds marins, ceux encore rares de la présence humaine, rares des grands courants.


Peut être ou pas, qu’importe, tes mots sont là. Ils sont tiens. Ils sont toi, tes silences, ta pudeur. Comme ton océan, ton pays. Comme cette force et vie, ta tacite union avec elle et lui, ton regard face à son immensité, son horizon, tes possibles envisagés. Ils sont tes centres, ton centre, ta gravité, ton refuge marin.


Où que tu ailles.

Ton ici.

Le mien aussi.



(Karine Le Nagard est lectrice 68 premières fois et sa plume est d'une émotion folle lorsqu'elle se dépose)




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