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  • Photo du rédacteurSabine

Jurga Vilé, Lina Itagaki - Haïkus de Sibérie

Dernière mise à jour : 10 avr. 2019



« Dans la charrette, les gens, à mi-voix se demandaient où nous emmenait. Certains parlaient de Vilnius, la capitale ; d’autres de la Sibérie. Y a pas plus loin que la Sibérie, à moins de partir sur la lune… Le jour se levait, mais de son œil brumeux, la lune continuait de nous observer. »

1941, quelque part en Lituanie, aux confins d’un puissant État Russe en guerre contre l’Allemagne et les opposants politiques au communisme stalinien, ennemis du peuple soviet. L’invasion d’un pays, la déportation de familles entières pour les emmener dans les coins les plus éloignés et rudes d’un Etat prolétaire dictatorial populaire. Au-delà de l’Oural, du fleuve Ob et de ses eaux à traverser, au-delà des trains et gares charriant leurs lots d’hommes, de femmes, de vieillards et enfants parqués dans des baraquements sommaires sous l’œil vigilant et intraitable de surveillants armés et de leurs chiens affamés. La Sibérie.


1941, quelques mois et années plus tard. 13 ans et quelques jours ou mois passés, loin du tagadam tagadam du train des orphelins qui a ramené Algis et sa sœur de ce camp de travail. Qu’est devenu la Lituanie abandonnée ? Que sont devenus les familles laissées derrière les barbelés, dans les taudis gelés, sous la glace qui recouvre les corps flottant à la dérive ? Que sont devenus les pépins de pomme semés sur une terre aride, gage d’espoir, de nourriture et surtout d’une chorale qui permettait de tenir ? Que sont devenus les haïkus inventés, une tante au kimono doux et soyeux ?

Depuis son enfance, Jurga Vilé entend son père lui raconter une histoire de pépin de pommes et de patates gelées, d’une terre éloignée recouverte de neige, un pays de glace où « les gens regardent les aiguilles tourner avec le ventre creux et des chandelles de morve au nez. » L’enfer blanc.

C’est cette histoire qu’elle nous conte. L’histoire de son père, une histoire impensable et pourtant indispensable à raconter, se rappeler, ne pas oublier dans les petites pages de la grande Histoire. Une histoire à hauteur d’enfant où l’âme est meurtrie par la violence, la guerre, l’incompréhension du monde des adultes, les horreurs subites, la mort, l’abandon, la peur.


Les dessins de Lina Itagaki souligne ce côté enfantin, lui donnant la puissance narrative graphique tout en adoucissant le contexte de captivité forcé. Les pastels redoublent de tendresse et douceur, donnant un côté espiègle et malicieux à certaines scènes pourtant rudes à lire et regarder.

Dessiné comme un journal intime, mélangeant dessins, graphismes, lettres, photos, visuels, Lina Itagaki dresse un journal de bord d’un voyage aux confins de la mort, des terres d’une Sibérie au sol gelé.


Et cependant derrière ces barbelés d’une terreur féroce se dresse la tendresse, la fantaisie, l’insouciance de l’enfance qui permettent de tenir en vie, contre les glaces et les gelées, les tornades et les coups de fusils. Une douceur poétique, une fantaisie bourrasque de tendresses et de drôleries, une dérision subtile qui donnent à ce roman graphique toute sa valeur et force, son héritage rare et précieux sur la vie, la survie, le gout indescriptible des pépins de pommes, des pommes de terre gelées et des souvenirs. Une émotion rare sur un récit humaniste et universel, sur la vie.


« Comment tricoter de douces paroles ? Il faut d’abord choisir soigneusement dix mots doux. Ensuite, les pensées et les mots vont se tisser seuls et former de douces paroles. »

Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Noukette



Haïkus de Sibérie

Jurga Vilé, Lina Itagaki

Sarbacane



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