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  • Photo du rédacteurSabine

Julie Moulin - Domovoï


« La langue russe a bercé toute mon enfance. Je mesure à quel point elle m’est familière. Étrangement familière. Constituer de ma personne alors que je suis encore incapable de la parler couramment, si bien que personne n’imagine que j’ai ce sédiment en moi, cette possibilité là. Personne ne se doute que j’ai du russe dans l’âme. »

Certains livres sont des invitations à la structure même de ce qu’on est, ce qui nous compose, à ces longues traversées qui nous bousculent, nous fragilisent et nous grandissent, à ces exils volontaires qui bâtissent notre vie. Ils sont des déménagements, des exils et des recherches de soi, griffées par une histoire géopolitique, des guerres de frontières successives, des hommes qui ont bafoués d’autres hommes.

Ces livres deviennent des contes, des mythes que l’on raconte le soir aux enfants. Des histoires un peu ogres-sorcières-chevauchées-cavaliers, nostalgiques d’un pays rayé de nos cartes du tendre et du sacré. On lit nos images perdues, on retient quelques mots, une langue inconnue roulant des R et évoquant des grands paysages inconnus, des villes d’un pays de Cocagne. On flirte avec les âmes disparues, un passé, une mémoire ensevelie. On suit les traces des mots, de l’histoire et on se laisse emporter.


De Julie Moulin, j’avais lu Jupe et Pantalon, ce flamboyant et truculent, sensible et beau premier roman découvert lors de la première sélection des 68 premières fois. Un merveilleux souvenir généreux, une grande première fois, celle du genre qui nous fait dire qu’il est impossible de pouvoir ressentir de nouveau de si belles et intenses émotions. Il était donc difficile d’imaginer de lire Julie Moulin, dans un autre contexte, d’oublier l’originalité folle, cette liberté de ton et d’humour, cette sensibilité et fragilité, douce dérision qui ne font que cacher les vérités.


Et pourtant, Julie a réussi là où tout aurait été plus simple d’écrire un copié-collé.


Domovoï est l’histoire de nostalgies, de ces grands voyages que nous menons pour savoir d’où on vient, où on est, où on va. Des voyages entrepris comme une quête sur notre passé, ces fuites incessantes à nos secrets familiaux. On cherche, on ouvre les placards et les tiroirs, on devine, qu’au-delà de la simple parenté maternelle et paternelle, se cache des histoires, la notre, des parfums lointains, des contrées inconnues qui nous appellent, des images qui nous livrent des pans de notre naissance. On entrevoit les contes et les fabulettes narrées durant l’enfance, les périples entrepris pour fuir une vie tracée.

On ouvre chaque poupée, ces matriochkas, figurines russes dévoilant dans son ventre d’autres figurines, d’autres histoires. On déboite, dénoue, découvrant l’ingéniosité et la tendresse déployées, la délicatesse pour livrer l’histoire de ce Domovoï, âme intrépide slave. On s’aventure auprès de ces possibles rêves soulevés, de ce qu’on entrevoit et on se plait à lire ces parallèles entre un monde disparu, idéalisé et celui d’une réalité contemporaine où pour survivre, la folle quête d’une vie immortelle devient compagne.


« Sans image, les souvenirs s’estompent et la mémoire se troue, pourtant l’image n’est jamais qu’un regard, qu’une interprétation que l’on donne du sujet, une fabrique abusive de l’immortalité. »

Julie Moulin foule de ses mots délicats, élégants, une vie, écrit sur une reconstruction, sur ces images perdues qui ressurgissent, ses pans qui nous construisent, nous libèrent de nos fantômes. Elle joue avec la mémoire, les secrets, les fragilités d’une vie, d’un pays, d’un exil, des liens. Elle se saisit d‘un conte comme on se saisit de brides d’une enfance jouant avec le romantisme slave, sa langueur nostalgique des longues errances, ces silences qui s’expriment dans les regards, des expatriations farouches, sauvages et palpables, libres.

Et c’est beau. Beau et sensible. Beau et posé comme on pose son histoire lorsque toutes les pièces du puzzle on était trouvées, comme une histoire russe où la fin n’est pas toujours celle que l’on croit, comme ces souvenirs que l’on pensait estompés.


« Il est de nos vies personnelles comme de la mémoire collective : nous avons besoin pour grandir du passé et de ses traces. C’est d’ailleurs là que réside le pouvoir démoniaque des flammes, une fois qu’il ne reste plus rien, ni pages, ni sépultures, on peut tout imaginer. »


Domovoï

Julie Moulin

Alma

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