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Julie Estève - Presque le silence




« La vie est une suite inexorable de pertes. Les hasards malheureux n'ont pas de calendrier ni d'intention. Ils viennent, un jour ou l'autre, fracasser l'existence. Pris au jeu, on se met à lister tout ce que l'on perd, sa virginité, les eaux, ses dents, son temps, ses cheveux, la raison, la face, la mémoire, du poids, son chemin, sa confiance, ses clés, connaissance, courage, l'argent, patience, l'espoir, et c'est sans fin. »


Tu cherches un abri où pleurer ta honte. Ta honte de l’amour inatteignable. Ta honte de cette sale prophétie qui te nargue, mythologie des Dieux te forçant à concrétiser l’oracle, à défigurer ton cœur, ton corps, tes viscères et tes boyaux. Tu portes l’amour, l’ultime, comme d’autres portent la mort, ses tourments et sa tristesse. Ne te fis à rien, surtout pas à au silence, surtout pas à la grandiose des gestes et des cœurs détruits, boursouflés, piétinés. Tu n’es rien. Juste une marque du passé contre laquelle tu t’échines, tu t’obstines à laisser ton empreinte, quelques traces d’une beauté enlacée, d’une chair à vif, d’un crachat sur des cicatrices jamais refermées.


Tu cherches un abri. Tu penses crier ta rage, ta fureur, ta colère. Tu exploses. Grenade dégoupillée sans tenir compte des manipulations, de la dangerosité. Tu exploses, imploses, parcoures les mots qui t’étranglent comme d’autres s’étranglent au bout d’une corde ou d’un corps détesté, piétiné. Tu vocifères, dans le vide de tes cages, des pertes et des amours fous, des deuils qui envoient valser ta petite vie mêlée à la grande, à l’effondrement du monde, d’un monde, de ce fichu sort que ton prénom t’a collé. Cassandre. Tu n’es qu’une prédilection, rien de plus. La prédilection d’une fin, d’un oracle ancien hanté sur des générations. L’orage-oracle des dieux, la foudroyante folie des tempêtes écrites. Tripes et boyaux écartelés.


Cassandre. Presque le silence.


« Les gens tristes ont besoin de chaos. Si on mettait les tristesses bout à bout, les flammes détruiraient le monde. Un jour tout prendra feu, les arbres et ma vie. »

Ecrire sans déraper, livrer en pâture les mots, virgules, phrases. Dégainer la mort qui s’infiltre, tire à profusion sur l’amour et ses voiles de mariées, de vie, de bonheur, d’herbe folle et d’une jeunesse chavirée, de papillons à tête de mort. Ecrire. L’amour et son feu. Celui qu’on aimerait fuir et qui rend fou, désir impossible des corps, cœurs enflammés. La folie débordante, la folie des assassins morts avant d’avoir tué. La folie impossible à contenir, à assoir, à temporiser. La folie du bruit du monde, du bruit des mondes, des mots qui accrochent, dérapent, couteau-stylo dégoulinant d’encre incandescente, écorchant la feuille d’une phrase miroir. Et le silence. Le silence. Le silence. Presque le silence. Celui qui tient debout, qui fait encore bouger, sentir quelques palpitations, souffles quand tout fout le camp.


Ecrire. Ecrire. Ecrire.


Dans le sombre, le noir, les ténèbres, la solitude, la tristesse quand les pleurs ont cessé, quand le chagrin n’est plus que le seul rempart à ce qui vrille, mord, tord, s’agite, crève. Ecrire pour ne pas sombrer, phare, boussole, rocher, écueil, naufrage. Crever face aux regards consolateurs, aux tabous, aux vides et néants, silences, aux incendies ratés impossible à maitriser. Ecrire. Secousse poétique organique, minérale, prose foudroyante de ce qui fait tenir. Pulsation de l’âme. Explosion des carcans narratifs classiques, des normes, poésie, littérature, puissance obstionnelles de l’écriture. Ecrire la beauté d’un monde qui court à sa perte, à sa mort. Ecrire.


Cassandre.


Qu’importe la mort. L’état de grâce et des vides. La vie. Aimer. Ecrire. Encore. La vie tout le temps. La densité de vivre. La vie. Aimer. Et presque le silence.


« Y a plus que ça, le besoin d’aimer. »


Presque le silence

Julie Estève

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