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Joanna Concejo - M comme la mer



« Le matin à la mer, on entend le monde entier » Eran Kolirin

Pour oublier les désordres, les cris, les silences, les vagues qui s’échouent à ses pieds, les marées déversant l’écume blanche, M. regarde la mer. De ses yeux bleus océan, il pourrait sourire, regarder les bancs de poissons, le vol des mouettes fouillant le contenu d’une poubelle ou ramassant des trésors que déterre le mouvement des marées, mais M. n’y arrive pas. M. n’aime pas, n’aime plus. Seul son souffle se heurte au silence de l’immensité. Vague à l’âme. Vague perdue.


« Si seulement je pouvais être la mer. »

La mer, elle, continue de danser, d’écouter et entendre le monde.


Il aimerait être comme elle, aller et venir, faire ce qu’il veut quand il veut, chasser les nuages d’un coup de brise marine, laisser le soleil apparaitre et briller, ramasser les algues et les tenir dans sa main comme une carte aux trésors, voler dans le vent, s’extasier devant des coquillages, jeter des cailloux dans l’eau et les voir rebondir à la surface. Il aimerait jouer, ressentir sa puissance, sa force, se laisser porter, courir sur le sable. Mais seules des questions sans réponses se heurtent à lui :


« Y a-t-il quelqu'un qui se tient là de l'autre côté? […] Un garçon comme moi ? Et c’est comment là-bas ? Est-ce qu’on l’appelle « petit » lui aussi ? Et d’où me vient cette tristesse, alors que le soleil brille de tout son éclat ? Est-ce qu’il est seul comme moi en ce moment ? […] Est-ce qu’il a déjà été amoureux ? Est-ce que son cœur lui fait mal parfois ? Est-ce qu’il a une boite à trésors. Et est-ce que sa maman l’aime ? »


Comment parler de l’indicible, ce vague à l’enfance quand tout est sensation, poésie, quand les mots ne sont que des hymnes au silence, à la beauté du monde, à la mélancolie, la solitude, quand l’étendue de la mer efface les cris inaudibles, les hurlements retenus, les bruits bagarreurs, les colères et tristesses, les pertes et détresses.


Comme une brise intime, un vent léger et soudain un peu plus fort, on entre dans la solitude de M., enfant aux yeux couleurs marine. Tout est bleu, bleu spleen, bleu suggéré. Rien n’est dévoilé, ni de sa tristesse, ni de son mal-être. Seule la mer fait remonter les émotions, les sensations.

Les couleurs crayonnées prennent formes, deviennent reliefs, souvenirs. Tantôt calme, tantôt bourrasque, la mer suit le regard et le mouvement-souvenir-nostalgie de l’enfant. On ne sait pourquoi ni d’où vient cette nostalgie. Et c’est peut-être cela qui est beau, cette poésie autour de la mélancolie, des larmes au goût de sel, au goût de mer, des petits cailloux que l’on garde aux creux des mains comme pour mieux se rappeler ce qui existe, nous ancre, nous construit.


« M. ouvrit la main et regarda les petits cailloux. Ils étaient moites, luisants. Il en lécha un. Il avait le goût salé. Comme les larmes. Comme la mer. »


M comme la mer

Joanna Concejo

Editions Format





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