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Jeanne Benameur - pas assez pour être une femme


« Il me sourit et je fonds. Je tends la main vers son épaule. Toucher. Je ne sais pas comment j’ai toute cette audace. Je ne peux pas parler mais toucher, oui. Avec lui, oui oui oui. Il sourit plus fort. Il me prend contre lui, il me serre. C’est tout ce que je veux. Et que ça ne s’arrête jamais. Je découvre je découvre. Je n’aurai jamais assez de temps pour découvrir. Ce que m’ouvre ce garçon c’est un territoire infini à l’intérieur de moi. Je n’en reviens pas. Je n’ai pas envie d’en revenir. Je voudrais juste rester avec lui, comme ça, toujours. On pourrait partir. Loin. On pourrait voyager, voir le monde. Avec lui j’imagine que je pourrais tout ça. Et les gens et les paysages. Est-ce qu’on peut dire aussi dire tous ces rêves à son amoureux une première fois ? »

Début des années 70, quelques années après les événements qui ont bousculé la France du Général de Gaulle, l’après 68 et son vent de liberté, d’esprit, de renouveaux politiques, sociaux-économiques, moraux. Judith, jeune provinciale, rentre en fac de lettres. Relégués dans les faubourgs de la ville (par crainte des émeutes et révoltes post 68), les étudiants ont été parqués dans des locaux préfabriqués vétustes. Manifestations et grèves sont à l’ordre du jour. Lors d’une assemblée générale, Alain, étudiant en 3ème année de philosophie, prend la parole et Judith tombe sous le charme de celui qui va l’amener à devenir femme, changer sa vie, briser les liens toxiques qui la lient à sa famille, ses racines, ses fantômes et devenir. Loin d’un monde où elle est la Petite, la dernière, éloignée des silences, des secrets familiaux, des mots tus tramés dans son dos mais dont elle devine les souffrances, les douleurs, la prison d'un monde conservateur, d'un patriarche matriarcal.

« Oh que plus jamais ne reviennent mes cauchemars, le souffle noir qui me hante.Je me sens assez forte pour me battre contre tout ce que je ne connais pas et qui me terrifie depuis si longtemps. La menace sourde de toutes mes années à la maison.

Près d’Alain, son corps à lui contre le mien, ses mains qui tiennent les livres, sa voix qui m’explique l’oppression du monde, je prends force. Je prends force. »


Un roman catalogué jeunesse lors de sa parution (Thierry Magnier Editions) mais qui réserve toute sa dimension adulte, et ébloui par sa mise en abime, les mots choisis et lus.


Jeanne BENAMEUR nous décrit la soif d’amour, de sensualité, des corps qui se touchent, se découvrent, se désirent, se cherchent, s’unissent. Tout en poésie, à fleurs de peaux, elle parfume ce roman d'un désir de liberté, d'une soif de vivre, d'une rage d'être, de devenir, d'apprivoiser les peaux, toucher des corps, s'ouvrir à ce désir, cette pulsion et appétit, d'ivresse, rappelant la nécessité d'être, de se révolter, clamer, être libre.

Tout en délicatesse, avec ce regard propre à la grande écrivaine qu'est Jeanne Benameur, on franchit les portes, trouve les clés et perçoit cette matrice, ce ventre qui nous fait femme, donne la vie. Les corps se cherchent, se trouvent, se prennent dans la jouissance et la découverte de l'autre. On sombre, se noie, recherche le souffle celui qui libère, redonne vie, fait naitre. On vainc un par un les tabous, les héritages familiaux, les engrenages éducatifs. On apprend, devient en laissant place à la révolte et à l'apprentissage, aux illusions et aux croyances, à nos envies.


Il y a une vraie force chavirante qui se dégage à la lecture de ce roman, une force d'être femme, de le revendiquer comme on se revendique d'être homme, humain, être. Etre une femme, une naissance, un souffle à reconquérir, une sensibilité pudique, intime, sensorielle, fragile, libre.


« J'ai l'impression qu'on cherche tous à sortir d'un carcan, à la trouver, la liberté. J'essaie de croire que ce que je fuis c'est exactement la même chose que ce que les autres fuient. Que je suis pareille. Mais au fond de moi, je sais bien qu'il y a quelque chose d'autre, d'impartageable, d'indicible. Parce que même moi je n'ai pas de mot pour dire. Je suis ignorante de ce qui m'opprime tout au fond et c'est pire que tout. Je ne sais même pas si j'ai envie de ne plus ignorer. »


Pas assez pour être une femme

Jeanne Benameur

Editions Acte Sud

Collection Babel


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