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Photo du rédacteurSabine

Jeanne Benameur - L'exil n'a pas d'ombre



« J’aurai voulu juste m’asseoir et voir la main qui écrit dans le sable. Peut-être, de voir juste la main écrire, j’aurais compris quelque chose du monde et des autres. Peut-être je suis, toi, femme qui as tout quitté, parce que  je veux voir ta main tracer les mots dans la poussière Juste cela. Tu ne sais pas que je suis là, derrière toi Je suis entre le village et toi Parfois j’ai envie d’apparaître dans la lumière et de te dire que je suis là.
Je suis, moi, celui qui t’a suivie. Je suis celui qui protège ta route Personne d’autre que moi ne te suivra Personne d’autre que moi ne saura où vont tes pas.
Tes traces sont légères dans le sable Ton pied n’efface rien.»

De ce recueil j’aurai pu recopier des phrases et des phrases, des mots et des mots, donner libre cours à ce récit, à cette marche dans le désert, sur le sable, à la force des jambes, à la force des ombres, celles que l’on fuit, celles que l’on quitte, laisse, ces lieux qui regorgent d’une dés-humanité humaine, celle qui protègent et reconstruisent, écrivent. J’aurai pu recopier toutes les lettres sur cette liberté, la poussière qui s’infiltre sous la couverture, la conquête de cette traversée, de cette transformation, de ce besoin de  liberté,  d’acquérir cette liberté.

Aller au-delà des horizons, marcher, qu’importe si les ombres n’accompagnent plus, qu’importe l’exil depuis qu’ils sont entrés et ont pillé les rêves, empêcher le sommeil. Quand la nuit s’éteint pour toujours. Quand les livres ne sont plus, quand le livre n’est plus.


« Je marche je fais aller mes pieds devant moi. Ici il n’y a que le silence et le silence encore. Je marche Tu marches. Est-ce que nous marchons ? »

Elle marche dans le silence puissant du désert. Elle a tout laissé, abandonné, parti de son village, de sa terre. Elle marche à se cogner, rapper les pieds, à fuir ce long silence, cette chape qui s’est abattue comme s’abat le couperet, le pillage, le son de la guerre, des voix, des mots qui effraient l’air. Elle marche de tout son corps, comme une danse enflammée, insatiable, comme un mouvement cognant sur sa poitrine, pour ne pas oublier qu’ils ont déchiré son livre. Le livre de son enfance. Celui qui lui donner le soleil, les étoiles, la lumière, sa vie. Celui qui faisait vibrer sous ses paupières, l’air, insufflait la force, la réponse à ses questions. Elle quitte son enfance. elle entre dans le langage.


« L’enfance n’est pas une terre que l’on quitte. L’enfance est au fond de la poitrine. Elle colle son front aux barreaux de la chambre. »

A quelques pas derrière elle, marche un homme. Une ombre comme une main qui préserve des averses, des puissances guerrières, enveloppe les corps, protège des écorces vives et épines. Une ombre lui rappelant qu’elle existe aux yeux de quelqu’un, de cet homme, sur la terre. Une ombre précieuse. Un regard et des yeux qu’on l’on a envie de caresser parce qu’eux aussi, ils sont précieux. Ils rappellent qu’ils existent, que la femme existe. Alors il la suit. Dans le silence de l’air qu’il contemple, la puissance du sable sur lequel il pose ses pas, grandi. Dans ses poches des morceaux de papier déchiré comme « un oiseau dont on aurait dévoré les ailes. ».

De cette traversée, elle ressent son sang vibrait, devenir neuf, devenir aventure, joie d’enfant, de femme, son livre à elle, celui que personne ne pourra déchirer. Elle acquiert sa liberté, sa force sa merveille, ses portes immenses qui lui disent de ne pas refermer ce qui a été ouvert.

« Il faut écrire dans la poussière. Dans la poussière c’est là qu’il faut écrire son nom.»

Alors elle marche. Malgré les cailloux. Malgré la poussière. Le sable. Elle écrit son nom. Et dans son ombre, il la suit. Comme le vent, comme le tracé de sa main sur le sable, comme un nom, un signe qu’elle appelle. Il la suit. Telle une caresse précieuse, silencieuse liée à son existence. Un regard. Son regard. Ses sens. Son corps. Sa vie. La brûlure d’une autre vie.


« Les signes se donnent à celui qui veut bien les accueillir, tout au fond de lui et les signes nous transforment. C‘est cela le bonheur de chaque jour. »


Un magnifique recueil de Jeanne Benameur qui nous insuffle ses mots, sa poésie, sa force et sa lumière. Des mots comme exil et garde fou. Des mots comme paravent aux révoltes qui déchirent les livres, les mains qui abiment les phrases. Une poésie pour sentir le souffle de la vie, marcher dans son désert, ressentir chaque parcelle de son corps, de son être, de cet insatiable besoin de souffle sans limite, d’un souffle que l’on va chercher très bas, dans ses pieds, pour le laisser aller dans sa puissance, son existence. Dans l’exil de ceux qui n’ont pas d’ombre et qui apprennent de leur enfance pour en faire leur vie, leur existence, leur force, leur double, leur signe. 

L’exil et l’écriture.


« L’enfance nous a laissé le manque pour nourrir nos rêves. Nous désirons. »

L’exil n’a pas d’ombre Jeanne Benameur Editions Bruno Doucey

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