« Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l'atelier dans le jour naissant encore gris »
Est-ce qu’on sait ce qui se passe dans la tête et le corps au moment où un artiste, un créateur de mots, de couleurs, de formes ou de mélodies, qu’importe, passe la porte et entre dans l’atelier ? Est-ce qu’on connait l’ébauche, ce qui hante, le hante, sa colère, ses frustrations, son envie, ce désir brûlant qui rampe sous ses doigts, ses doutes, ses peurs, sa joie, l’amour, ses émotions, ses mots qui surgissent, sa force, son urgence ? Est-ce qu’on sait l’instant fulgurant, furtif, précis, où il entre dans l’atelier, dans la page, l’encre, la toile, la couleur, la mélodie, la boucle qui donne l’énergie créatrice, libératrice, qui fait tenir debout, droit, se redresser ou au contraire se plier sur le sol pour danser autour de la toile, poser des couleurs, se relever, défier celui qui apparait et entre dans son émotion et l’oblige à répondre aux questions qui n’ont pas de réponses, qui ne sont que l’instant où l’émotion s’est posée, à relever, composer ?
Est-ce qu’on sait ce qui se passe dans la tête et le corps au moment où il passe la porte et entre dans l’atelier ? Est-ce qu’on devine que l’œuvre ne peut être finie ou définie, devenir alors que le monde autour de soit bouge dans un autre sens que celui de l’atelier. Est-ce qu’on peut comprendre que le bruit qu’il émet n’est pas celui des barbaries des champs de bataille, de guerres de territoire ou d’économie. Est ce qu'on comprend qu'on ne peut comprendre, que seule l'émotion, le sentiment saisit ? Que l’art est. Il est l’instant précis où l’artiste entre dans l’atelier, ce premier élan qui fait qu’il nait. Qu’il est.
Je pourrais détailler le texte de Jean Philippe Toussaint, Monet. Je pourrais. Mais que dire face à ce qui est. L’art. Sa force. Sa liberté. Il faudrait alors relire ce texte, y revenir, le lire et le relire encore, s’y relier, s’en imprégner, peindre ses mots, sa vue, ses yeux, sa main, sa pensée. Il faudrait comprendre que chaque mot est la peinture précise de cet instant, celui où l’auteur entre dans son atelier, que l’histoire, le nombre de pages, ne font pas tout, que la quantité ne fait pas œuvre, la qualité et l’instant précis où on entre dans l’atelier fait. Que la beauté réside dans cet instant. Nait .Furtive, fragile, belle, courageuse, forte. Libre. Est.
Dans l’instant précis où Monet entre dans l’atelier.
Dans l’instant précis où Jean Philippe Toussaint entre dans l’atelier.
Dans l’instant précis où tout se dit, se peint, s’écrit.
Dans l’instant précis où on entre dans l’atelier.
« Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il entre dans l'atelier, où il passe la frontière entre la vie, qu'il laisse derrière lui, et l'art, qu'il va rejoindre. […] Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il entre dans l'atelier. »