« Tu vois, lui confia-t-elle en sirotant un spritz en terrasse, il tourne en rond, il n’a plus vraiment de projet. – Ça va revenir, temporisa Sylvia. Avec ton père, ça n’a pas toujours été simple. Ça s’entretient l’amour... [...] – Je t’en prie ! Ne me sors pas les conneries des magazines, la coupa Paloma en prenant une photo de son verre de spritz, avec, en profondeur de champ, la Méditerranée. Sur son téléphone, elle recadra l’image et la posta sur Instagram. Hashtag apéro, hashtag Cadaques, hashtag spritz, hashtag Costabrava, hashtag weekendsansenfantsnimari, hashtag laviestbelle. »
Lire devrait être ce facteur hautement nécessaire pour comprendre la société, les facteurs humains, pour tenter avec ses mains, ses rêves, ses projets, de poursuivre ses aspirations, ses envies. Lire devrait cogner la vie, révéler ce qui est beau, rend beau, force le gens à être ensemble, à partager, se respecter, relancer le mécanisme, l'empêcher de se gripper, de s'oublier, d'oublier.
Il y a des livres qui font cet effet, l'effet d’une petite bombe, d’une claque magistrale dans nos vies étriquées, verrouillées, bien huilées. Des livres qui nous réveillent, nous incitent à réfléchir à ce que l’humain donne, sème, pour que le monde s’arrête un jour de tourner. Des livres comme des recadrages à nos rêves envolés, à nos envies effilochées. Des livres linceuls à nos poussières, nos résidus de ce qui nous anime.
Il y a dans « la nuit et des poussières » des vérités réalités qui ne sont pas que pures fictions, que des invraisemblables morceaux de vies et de vides. Il y a les chairs tremblantes, les doutes qui assaillent, la peur qui s’infiltre, le vide qui se profile, enfle, étreint aux creux des nuits les silences lourds. Il y a ces êtres perdus dans les méandres d’une fatigue, d’une place qu’ils cherchent, ne trouvent plus, dans le schéma d’une société oubliant, reniant, abandonnant, ces solitudes modernes remplient de réseaux, de hashtags, d'égo, de vides et d'angoisses d'être, d'existences. Une nuit comme une quête aux poussières, au temps qui se délite, à ces questions, ce sens, ces liens, ce quelque chose qui nous met face à cette société qui oublie, désorganise les rapports humains, modifie les rêves, les aspirations, les envies, les élans.
« Toute sa vie, on court après quelque chose, on veut aller au bout du monde pour raconter des histoires, comprendre les autres, donner à voir l’univers à ceux qui ne le voient pas. On gagne des médailles, on nous épingle des décorations sur nos vestes, on serre la main des puissants : grand patrons, hommes politiques, hommes et femmes remarquables. On écrit des livres, réalise des films, on chante, on danse, on construit des ponts… Et un jour, on se réveille dans notre lit sans savoir qui est la personne allongée à nos côtés. Nos neurones foutent le camp, on oublie notre mariage et nos enfants, nos passions et nos combats. »
Jean Baptiste Gendarme dresse avec finesse, précision, concision, un portrait contemporain de nos maux, nos désespoirs, nos folies et nos existences. Comme un fil accroché entre deux rives, il tend le récit où la solitude surgit à chaque coin de mot, de phrase, de page. Une solitude comme une vie qui s’égare dans une société hashtags, réseautée, où tout est fait pour vivre et être ensemble mais qui ne laisse que de vagues possibles, des espoirs et rêves avortés. L’ultra moderne solitude d’une vie déshumanisée, aseptisée.
La nuit et des poussières n'est pas que pure fiction. Il est une réalité. La réalité d'une vie qui oublie de quoi elle est composée, d'humains voulant vivre et non pas mourir.
Un roman qui secoue comme sait si bien le faire la littérature lorsqu’elle jaillit dans nos vies, nos nuits formatées et rangées, seules.
« C’était ça dans le fond, la littérature : placer des personnages dans des situations impossibles et voir comment il réagissent. »
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