« La déception immédiate est une chose. Mais ma tristesse vient de plus loin. Elle vient du gamin, qui un jour, décida de devenir paléontologue. Pas par goût de l’aventure. Pas pour la célébrité, ou la gloire – même si ces dernières feraient bien mes affaires. Pas davantage pour la reconnaissance de ses pairs ou l’enrichissement, ça non ! Non, on devient paléontologue parce qu’on aime les histoires. Pour en raconter, à soi et aux autres. »
C’est l’histoire d'un homme, d’une histoire, d’un conte qu’on lit le soir aux enfants, ceux qui n’ont plus de rêves, d’espoirs, de lentes désillusions, d’ennuis et mélancolies. C’est l’histoire d’un loup et de cailloux qui poursuivent toute une vie, une trace, un chemin. Un loup comme un animal totem, un berger nous montrant une voie, celle, insoupçonnable, qui résiste aux victoires et facilités, nécessitant la foi et la croyance en des actes, des amitiés, des coups de pioches, de piolets, de gestes insensés. Un caillou fossile comme une foi digne de celle qui résonne en soi, solitaire, marquant une naissance, un féroce appétit, une pulsation jusqu’à la folie, la mort.
« La prochaine fois que l'aube me secouera, je n'ouvrirai pas les yeux. C'est un piège. L'aube ment à ceux qu'elle réveille, à l'homme d'affaires, à l'amoureux, à l'étudiant, au condamné à mort et, oui, au paléontologue aussi. Elle nous remplit d'espoir pour mieux nous décevoir. Le crépuscule, plus vieux et plus sage d'une journée, m'a fait la leçon : j'ai été bien naïf de la croire. »
« Les seuls monstres, là-haut, sont ceux que tu emmènes avec toi. »
C’est l’histoire d’un homme qui ne sait pas où est sa voix, aphone des mots cadenassés dans son corps, les souvenirs d’une enfance voguant entre, coups et désenchantements. Sa voie, son cailloux mystérieux celle qui doit lui permettre de poursuivre son chemin, de gravir des montagnes et découvrir cet animal sauvage qui est en lui. Son fossile. Son loup. Un homme qui depuis son enfance cherche en vain, une reconnaissance, un droit de croire en lui, d’être lui, de parcourir le monde, son laboratoire, à la recherche d’une pierre enfermant un insecte, un corps recroquevillé, une empreinte, la sienne. Pas un caillou qui lui amènera la célèbre renommée, non celui qui lui donnera la vie. Un caillou, un bout d’osselet, un morceau de chair abimée, érodée par le temps. Son histoire. Sa légende. Son conte. Celui qu’il aimerait pouvoir raconter un jour. Celui, celle qui lui permettrait de faire vaciller son rêve pour que quelque chose de grand arrive. Paléontologue et gravir des montagnes, la sienne, celle qui culmine. son rêve. Celle qui lui prouve son souffle, lui procure son âme.
« Il (…) disait toujours que le destin d’un homme est de partir. Que ceux qui ne partent pas ne trouvent jamais de trésor. »
« Quand le vent souffle, accrochez vous à votre âme. »
Jean Baptiste Andrea nous raconte une histoire toute en pudeur et conquête intime, en croyance et folie, en humanité et magnificence d’un monde glacé. Une histoire comme une conquête italienne, entre drame et farce, amitié et camaraderie, entre le monde de l'adulte et celui de l'enfance, un sommet à gravir pour découvrir ce trésor personnel que l’on cache soigneusement, enterre sous des couches de neiges et de glaces, la quête d'un père, d'une reconnaissance. Un trésor digne de l’enfance, des cailloux-talismans, des pierres polies conservant la trace d’un passé, le fragment d’une présence racontant un rêve auquel on se raccroche. Un rêve qui existe, devient, poussé par la nécessité et la foi, l’amitié des rebords vertigineux, des séracs et pitons. Un loup.
« Un géant athée amoureux d’une déesse. Un ancien séminariste ventriloque, un guide qui parle la langue oubliée des montagnes. Si je les avais connus plus tôt, je n’aurais peut-être pas grandi avec un trilobite pour seul ami. »
Parsemé de phrases à couper le souffle, Cent millions d’année et un jour regorge d’une poésie qui prend son envol, trace son empreinte dans les vertiges des hautes montagnes, sommets, symbolise la grâce et la force des amitiés impossibles, les luttes intimes contre lesquelles on ne cesse de lutter, jouant sa vie, poussant à l’extrême ses rêves. D’une écriture pudique, silencieuse, poétique, sublimant les paysages comme il sublime le jeu intime de l’enfance, les silences et murmures, Jean Baptiste Andréa nous livre un conte celui qui nous aide à franchir les cols et sommets nous poussant à croire en nous, en nos fois et rêves, en nos forces et folies.
Comme sur le rebord du monde, on puise dans nos souvenirs cachés sous les vestes, nos invisibilités et silences, nos pleurs d’une enfance enfin vivante et on saisit la corde, on s’accroche et s’arrime aux autres, à la vie, à l’amitié, l’amour, la folie. Celle d’une naissance. D’une renaissance. Belle, lumineuse, invincible. Une histoire. Celle d'un homme et d'un monde. Le sien.
« C’est quelque chose la fierté d’un père. On peut la trimballer sous sa veste, aller en classe avec, c’est invisible et ça vous tient toute une journée. »
« Si nous ne sommes pas capables de croire à une histoire juste parce qu'elle est belle, à quoi bon faire ce métier ? »
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