« 1 - J’ai commencé ce texte lorsque je vous ai écouté. Il ne s’agit pas d’écrire une souffrance (la vôtre ou la mienne). Il s’agit d’être là. »
J’aimerai vous parler d‘un texte sans être certaine de pouvoir vous écrire ce qui est transmis, la vie, la peur, les doutes, les émotions qui nous parcourent lorsque les portes de ce lieu s’ouvrent et se referment derrière nous, que le bruit des clés résonnent dans les oreilles, que la vie ne devient pas silence mais isolement, récit d’une détention, d’une ligne de failles, de fuite, d’une frontière traversée, d’une ligne dépassée.
On ne rentre pas dans ces lieux fermés sans y laisser de soi, des regards, des vérités, ce quelque chose de difficile à raconter parce qu’encore trop juger. On pénètre parce que derrière ces murs, il y a des vies qui se créent, se transforment, se libèrent d’anecdotes et de pensées, de paroles inédites, de réflexions, de doutes. Une notion de survie pour ne pas sombrer. Comment recoller les morceaux, les fragments, ceux d’une vie, de vies, de ces sentiments, de ces hommes, femmes qui arrivent pour purger une peine, y travailler ? Une pause dans l’enfermement, un droit d’exister, d’y exercer une activité ? Comment savoir quand on est que poussière, détenu, parents, enfants, conjoint, ami, travailleurs, salariés ? Comment vivre d‘une manière commune, laisser une trace, un quelque chose sans ce sentiment de culpabilité, de monstruosité aux yeux d’une société, spectatrice d’un désastre et jugement annoncé ? Expliquer, joindre les mots à la vie, redonner le lustre aux identités, aux matricules, des fragments, des récits, des paroles prononcées sans narration ni pensée.
« Il n’y a pas de petites choses dans la prison. »
Jane Sautière est entrée derrière ces murs. Elle a entendu les portes se refermer derrière elle, le bruit des clés, les cris et les longs silences retenus. Elle a rencontré ceux qui sont derrière les barreaux, ceux qu’on appelle détenus ou encore surveillants, collègues ou « visiteurs ». Elle l’éducatrice en milieu carcéral, assistante sociale d’un quotidien usé. Ces lieux fermés, la parole des oubliés. Elle a écrit ce qu’elle a entendu, ressenti : l’enfermement, la détention, la sensation d’être derrière des barreaux, quelque part entre des murs d’un lieu commun clos où chaque soir elle en ressortait, la lourdeur administrative, la fatigue et l’usure. Que donner à voir, à être, à construire, à aimer, à rendre digne d’exister ? Quel sens prend le mot liberté quand les portes s’ouvrent après une journée terminée, la trouille des gestes automatiques et déshumanisés ? Que faire ? Qu’être ? Comment retranscrire la parole et la vie ? Comment en sortir indemne ?
Cent fragments, comme des repères pour ne pas oublier, les oublier, oublier la dureté, la morale, des lieux de vie, les univers fermés, le monde carcéral, la fatigue. Cent fragments humains, beaux, vivants, généreux, sensibles, vrais. Cent fragments et les mots de Jane Sautière, son humanité. Garder ce qui nous a envahi, encerclé, étouffé. Laisser entrevoir le beau, le fort, le puissant, la vérité, l’humanité, rempart aux résistances d’un monde qui ne laisse pas le droit à ne plus être jugé.
Quelque chose comme dans l’œil du cyclone.
« Comment être à la hauteur d’un truc pareil ? »
Et parce que les 68 premières fois ont aussi à cœur d’être présent dans le milieu carcéral, d’entrer dans des lieux où rien n’est acquis, de « proposer la même chose, ne pas adoucir, ne pas changer les règles sous prétexte que les circonstances sont différentes ». « Lire sauve, change, ouvre au monde, donc aux autres et nécessairement à soi. » - Charlotte Milandri, présidente de l’association 68 premières fois.
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