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  • Photo du rédacteurSabine

Jacques Josse - Chapelle ardente



Il y a des bouquins qui sont comme ça, vous saisissent d’un seul coup et vous laissent sur le flan, dans l’urgence de vouloir crier que ce bouquin « c’est un p*** de bon bouquin », que toute la vie, l’homme, sont incrustés dans ses 32 pages. Pas besoin d’en dire plus. Chapelle ardente de Jacques Josse en fait parti. Il dégage tout ce qui fait un lieu, une émotion, une sensation. Il dégage les odeurs, les regards, les tensions et l’amour. Il est humain. Humain à s’en crever les yeux, ranger les poings au fond des poches, crier en silence. Il est d’une violence et d’une douceur, d’une bienveillance terrible.


« Peu avant dix heures, les habitués du bar La Iza s’écartent pour improviser une sorte de haie d’honneur. Ils sont une petite soixantaine, réunis sous les parapluies. Ils fument et parlent à voix basse en attendant l’arrivée du fourgon mortuaire dont ils perçoivent depuis quelques minutes le bruit régulier du moteur. »

Il est mort. Il, c’est celui qu’on appelait le Barbu, le tenancier du bar La Iza, le dernier troquet avant le bout du monde, l’océan. Il est mort, comme ça, bêtement, connement même. Un soir après avoir fermé le bar, il s’en est allé au bout de la jetée avec sa canne à pêche à l’épaule. On ne sait pas trop. Une bourrasque, un coup de crachin, un mauvais pied titubant. 

Le Barbu, c’était le phare du village, celui qui d’une pinte, ouvrait le cœur aux plus rocailleux des types qui venaient se poser dans le zinc. Peu de mots, pas besoin. Peu de gestes, ça sert à rien. Juste à taper du poing, cogner, choper le verre et le vider en un quart de tour. Et pourtant, c’est sur deux tréteaux que repose le cercueil de Barbu désormais.


« la porte s’ouvrir, le sifflement du vent marin ou le crépitement de la pluie sur les graviers se mêlaient à la musique, au brouhaha et aux éclats de voix. »

J’ai découvert un extrait de ce texte dans un recueil de textes. J’ai été secouée tout de suite. J’en voulais plus. Encore plus. Je désirais entrer dans ce troquet, enveloppée par la musique et les voix rocailleuses de Léonard Cohen, Jim Morrison. Cela sentait la marée, l’odeur des clopes et des volutes bon marché. Sur les tables, des verres vides. Ici il n’y avait que des burinés, des taiseux, des rugueux, des qui sentaient l’odeur des grandes marées et du poisson. Pas les romantiques bourgeois des brasseries des beaux quartiers. P****de café, p*** de rafiot, p*** de tempête..


L’écriture de Jacques Josse vient à la fois nous gifler et nous prendre doucement par la main. Il triture nos boyaux comme on agite une cuillère dans la tasse en espérant y lire un présage quelconque. Il y a toute la poésie du lieu, des agapes, des solitudes, des silences et des ivresses nocturnes. On y entend la mer, le souffle puissant du vent, la tempête, les verres se remplir et s’entrechoquer. On y repère les camaraderies, les choses qu’on ne dit jamais mais qui entre deux verres se répandent. Tout est suggéré.


« Ils peuvent maintenant se regarder dans les yeux. Se détendre. Se remettre à parler. Plusieurs restent debout, d'autres préfèrent s'attabler et d'autres encore s'accouder au comptoir. Ils ont tenu à rendre hommage au patron en se rassemblant dans l'estaminet coloré qu'il avait su rendre si chaleureux. Ils y ont établi leur chapelle ardente.»

Et dans un élan d’affection, Jacques Josse nous entraine dans ce troquet du bout du monde, du bout de rien, du bout de la vie. On s’y installe et on se sert les coudes autour de celui qui représentait, celui qui tenait, celui qui est parti par un soir de grande marée. Âmes errantes d'un capitaine.


« Braque, se gare sur le parking réservé au deuil, en haut de la corniche. A ses côtés, le professeur ferme les yeux, les ouvre, les referme. Il soupire et s’apprête à descendre du véhicule en étant intimement convaincu que dès ce soir, Barbu, couché en fond de tombe, charmé par l’appel de l’océan, regrettant de ne pas avoir emporté sa longue-vue, ses spots bleus et sa lampe torche, s’offrira une première sortie sous la lumière laiteuse des lampadaires du front de mer. Il se baladera incognito, sans corps et sans ombre, blotti dans les mots de tous ceux qui le feront entrer dans leurs conversations, ne les quittant qu’à l’heure de la fermeture, heureux d’avoir pu se dédoubler pour être présent dans de nombreux lieux en même temps. »

Chapelle ardente Jacques Josse Le Réalgar



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