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  • Photo du rédacteurSabine

Hervé Guibert - Le seul visage

Dernière mise à jour : 6 déc. 2022



« Dans l’écriture, je n’ai pas de frein, pas de scrupule, parce qu’il n’y a que moi, pratiquement, qui suis mis en jeu […], tandis que dans la photo il y a le corps des autres, des parents, des amis, et j’ai toujours une petite appréhension : ne suis-je pas en train de les trahir en les transformant ainsi en objet de vision ? »

Qui a-t-il dans le regard que les mots ne peuvent dire, exprimer, entendre ou écouter, se lire. Les freins, les craintes, les doutes, l’amour, la joie, les rires, la tristesse, la solitude, le désespoir, la folie, les autres, soi, lui, elle., aux, nous, vous. Que dire sans le dire, que montrer sans trahir, se trahir.


Tandis que certains se jouent des selfies édulcorés, d’autres cherchent la vérité, traque le jeu des ombres, des lumières, de la gravité ou l’étranger, le corps en sursit, le sursis, les épisodes qui ne peuvent s’écrire. Ceux d’une vie ou d’un moment, un simple instant, une fulgurance, un lieu, un prénom, une initiale, un visage, un corps, des objets. Traquer la lumière, l’ombre, le mouvement, le simple lâché, la certitude, le mystère, l’intense. Et ne pas trahir l’instant. Ne pas trahir la vision, réceptacle du corps, chambre noire de l’âme. Ne pas dévoiler ce qui se dévoile, laisser libre court à l’émotion, le courant qui se joue, le sentiment. Parce que photographier, c’est laisser des bouts de papier s’éparpiller sur la rétine, c’est fusionner ce qui ne peut se dire, c’est oublier les mots, l’encre qui ne peut écrire, le papier qui suinte, le crayon qui perce l’abcès, dessine la peur, termine l’histoire. Photographier c’est verser des larmes, replier la honte, laisser le cœur, le vide, les silences se remplir, devenir, être, aimer.



Hervé Guibert fait parti de ceux qui me hante. Hante le couteau-crayon-objectif de l’écriture, hante l’image, le corps, pousse à l’extrême la pudeur dénudée, décentre le vivant pour le rendre fou, unique, seul. Son écriture est une joute, une errance dans la perdition obsessionnelle de la compassion amoureuse, la déchirure, l’impossible. Son regard joue l’image fantôme, l’attraction des ombres et des lumières, la surface infime, intime du corps. Elle tambourine l’âme, devient fulgurance, solitaire, fièvre créatrice, mélancolie, voile, patience, prudence dans l’abîme, fidèle à l’émotion ressentie, fulgurance, perte. Il traque l’absence, le vide, le silence, l’esthétisme d’un cadrage décalé, la folie désillusionnée, le froissé de l’instant. Guibert saisit l’instant comme un risque, celui de se perdre dans un regard, le regard, la fuite, le vide, l’incertain.



Il faut lire Hervé Guibert. Et il faut aussi le regarder, regarder les fantômes, le trouble, le pudique impudique, les ombres, les lumières. Ce regard qui chavire. Regarder, entendre sa photographie, la lire. La lire comme une écriture de soi, un désir, le désir. Celui d’écrire et de photographier. Insondable quête d’une vie.


« en dévoilant ainsi à d’autres corps, à des corps étrangers, passants et peut-être indifférents, des corps familiers, des corps aimés, je ne fais qu’une chose – et c’est une chose énorme je crois, […] : témoigner de mon amour. »

Le seul visage

Hervé Guibert

Les éditions de minuit




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