« La mort est comme un diable qui susurre à l’oreille que c’est déjà trop tard, que tu m’as quittée désormais, que je ne vais pas y arriver désormais, que je ne vais pas y arriver. Je lui fais face avec mon corps qui tremble à n’en plus pouvoir, avec ces gestes que j’ai appris comme une prière à laquelle s’accrocher.[…] Je suis une machine à oxygène. Le temps ne compte plus.»
Dans la nuit noire, absolue, silencieuse, la violence éclate. Un déchirement intime comme un drap qui se découpe en deux d’un seul coup, une fissure, une brèche, l’impossible possible, l’inenvisageable. Un bruit étrange comme un vrombissement, un râle. L’interrupteur. Trouver l’interrupteur. Saisir d’où vient ce bruit. Ce bruit qui n’en finit pas. Ce râle. La lampe. Allumer. Et comprendre aux yeux, à ce regard fixe. Comprendre qu’il n’est plus là, que la faucheuse est en train de faire son travail de sape. La faucheuse comme un diable. L’ange noir. La mort. Celle que l’on découvre quand on se réveille d’un cauchemar. Celle qui ne prévient pas.
« Je me lève, essaye de rassembler mes pensées, juste agir, faire les bons gestes dans le bon ordre. La peur, elle est là, mais je dois agir. Attraper mon téléphone, composer le 18. »
Agir, agir, agir. Ne pas trembler, ne pas penser aux conséquences mais agir. Masser la poitrine. Se rappeler les gestes, les secondes à compter. Masser. Ne pas s’arrêter. Relancer la machine en attendant que les pompiers arrivent. Les mains sont imbriquées l’une dans l’autre donnent la régularité et la force. Une machine. Une machine de guerre.
Guerrière.
Continuer telle une prière, un psaume auquel on se raccroche. Ne pas flancher. Surtout ne pas flancher. Ne pas y penser. Donner tout son poids dans la poitrine, dans cette nuit noire et silencieuse. Continuer, ne rien lâcher.
Crier pour qu’il se réveille, pour rendre la vie, donner naissance, renaissance. Crier plus fort pour laisser passer le souffle, l’émotion. Croire en l’amour plus fort, bien plus fort que la mort, bien plus fort que la fin. Crier comme on crie, on gueule à s’en péter les poumons, à s’en fêler les côtes, à réveiller les enfants.
Tenir jusqu’à l’arrivée des pompiers et voir son corps partir sur le brancard dans une couverture de survie. Pour où ? Pour combien de temps. Est –ce possible que la vie quitte son corps à cet instant ?
Survivre. Et le mot qui tombe : infarctus.
« Près de ton lit je détisse. Et tisse autrement. Je gagne du temps. Que nos enfants grandissent. Que l’on s’aime encore plus. A tes oreilles, je glisse une autre histoire. Et les lèvres prendront bien le relais mon amour. »
Ce texte, comme une prière que l’on clame, à laquelle on se raccroche lorsque la mort devient l’ultime rempart faire tomber. Un texte comme un acte d’amour, un amour qui n’ose plus se rappeler, croire.
Dans chaque mot écrit, Hyam Zaytoun a écrit l’inaudible foi, l’incroyable puissance de la vie, de l’amour. Celui auquel on se cloue pour rester debout, poursuivre la marche, continuer à marcher et se sauvegarder, courir, vivre. L’amour comme un souffle. Des mots comme un souffle. Une intuition de ce qui pourrait encore exister, de ce qui peut encore exister. Un souffle pour une vie. Pour qu’il vive.
Et ces mots.
Des balles.
Des mots qui redonnent vie, électrisent.
Des mots comme des souvenirs d’un passé où se tisse les images, les sourires des enfants, le quotidien d’une vie. Le dérisoire et l’élan. Vigile. Tenir encore.
Le texte nous cueille, nous électrise, nous secoue par sa force, nous envoie dans les cordes d’un ring, sonné, ko debout sans pouvoir respirer. On tourne les pages, on ne retient rien, on sent la vie redoubler d’effort pour essayer encore, y croire toujours. Des mots comme une force. Et cette fragilité qui survient d’un seul coup. Sensible à sentir la feuille s’effriter, un souffle de rien.
Une écriture comme un psaume, un récit mythologique, une beauté noire à laquelle on se contraint, un dépassement comme un combat. Des mots qui nous prennent les tripes, le cœur et nous soufflent que la vie est là, dans ce sourire qui se dessine, ce dépassement intime qui n’est que l’amour auquel on tient, on se retient, on croit.
L’amour comme un fil.
Celui d’Ariane.
Celui d’un souffle.
Un souffle de vie.
« Je sais qu’il me faut comme cela souffler à tes oreilles ce que nous sommes, ce qui nous lie. Et que les voix de tous ceux que tu aimes sont précieuses. »
« Si tu reviens, mon amour, qu’est-ce qui en toi aura changé ? Je suis ta vigile, ton garde du corps… »
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