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Géraldine Jeffroy - Lettre à


Mon cher M.,



Voilà quelques temps déjà que tu frappes à ma porte. J’ai tardé, je sais. Tardé à t’ouvrir, tardé à te faire entrer, tardé à t’écouter. Tardé à céder en somme. J’aimerais plaider la pudeur ou un autre engagement, on trouve des excuses aisément quand on veut fuir, mais à quoi bon te mentir.


Les personnages veulent vivre, c’est bien légitime après tout. Toi comme tous les autres.


Les personnages sont des impertinents, des sans-gêne et des obstinés ! Ils surgissent, là, à votre porte, occupent votre paillasson. À peine sortez-vous qu’ils vous suivent. De loin d’abord, puis de plus en plus près, et de plus en plus souvent. Ils finissent par ne plus vous lâcher, toujours derrière votre porte, du mauvais côté cependant, mais là. Ils ne sont pas encore entrés que déjà ils vous hantent le jour, vous réveillent la nuit. Après avoir franchi le seuil ils continuent. Le jour, la nuit... Infatigables, bavards, pointilleux, tyranniques ! Ils s’imposent. Ils s’installent. Ils s’étalent. Ils habitent désormais chez vous, ils vous habitent. Ils ont un destin à accomplir, ils ne repartiront pas avant. Ils vous ont choisi mais ils n’auront pas pitié de vous.


L’enfer pour un écrivain, ce sont les personnages.


Mon cher M., tu n’as pas été plus pressant que les précédents, peut-être même moins ; tu as eu cette délicatesse : la patience. Peut-être savais-tu qu’au bout du compte, je te dirai oui. Confiant et serein, sûr de ton « potentiel ». Avant de succomber, je t’ai souvent observé par l’oeilleton : assis sur le palier, avec ta malle pleine de poèmes. Certains matins j’en retrouvais un, glissé sous la porte. Je lisais. Je n’aimais pas vraiment. Pardon…


J’ai pensé que tu t’étais trompé de voix.


J’ai fini par te dire que je n’entendais rien à ta poésie, que tu ferais mieux d’aller trouver Michon, que lui voudrait peut-être, qu’il était de ton envergure, alors que moi...


Mais tu es resté là, sans rien perdre de ta tranquille certitude.


« J’ai rencontré le plus grand génie du 20e siècle, as-tu murmuré un soir où je te criais de partir. Et il a été toute ma vie. »


Alors je me suis servi un verre de vin. Et j’ai ouvert la porte.


« Entre, raconte-moi cela… »

Mon cher M., à présent que nous vivons ensemble je tremble de ne pas être à la hauteur. J’ai perdu confiance, vois-tu. Je repars à zéro, je vais devoir réapprendre. Je crains que ce ne soit long, et difficile. Elle est peut-être là après tout la raison de ton entêtement : si j’avais davantage besoin de toi que toi de moi, pour exister.


Nous verrons bien. Je veux bien essayer.


Mais surtout, surtout ne me lâche pas la main...



j’ai peur.



Lettre à

Géraldine Jeffroy

L'été jaune carré




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