C'était à Châteauroux. On m'a demandé : "tu m'écrirais un petit texte estival pour mon blog ?" Soyons honnêtes, j'avais peu dormi et je ne savais pas si je devais écrire un texte estival (avec, j'imagine, des enfants qui courent au bord de la mer et deux ou trois pâtés de sable) ou un texte à paraître au cours de l'été. Dans le doute, j'ai souri. Il faut toujours sourire, dans le doute. Ou pincer les lèvres. Ou se gratter le menton, prendre l'air inspiré, regarder au loin, reprendre une bière... enfin, dans le doute, il faut trouver une gestuelle à très court terme. Et puis j'ai dit oui.
Pourquoi ?
Parce qu'il est chouette ce salon de Châteauroux, parce que j'y avais passé une excellente soirée et que la journée, bien qu'un peu brumeuse, était une belle journée. Et parce que, il faut bien le dire, j'ai été assez gâté par les blogueurs... et que je ne sais pas si je le leur dois, mais envoyer un texte me paraissait plutôt correct.
Restait à choisir le sujet. Une carte blanche c'est terrible. Trop de choix. J'ai eu envie de parler musique, de la rivalité Beach Boys-Beatles et de l'amitié Beatles-Rolling Stones. J'ai eu envie de parler de l'incroyable Fugues de Lewis Shiner. J'ai eu envie de parler de Jusque dans nos bras d'Alice Zeniter (j'ai même eu envie de recopier les 3 premières pages). J'ai eu envie de parler de mon ami Nicolas Houguet et du livre qu'il va publier en 2019. J'ai eu envie d'insister sur l'importance de soutenir la librairie indépendante. J'ai eu envie de parler de Malcolm Knox et de Shangrila. De Tristan Egolf et du Seigneur des porcheries. De David Peace et de Rouge ou mort Du coup, j'ai eu envie de parler foot et de rappeler que Zidane a joué quatre ans aux Girondins et qu'il n'a jamais porté officiellement le maillot de l'OM. J'ai eu envie de parler de la place de la nouvelle en France. J'ai pensé à Antidata, à Zinc Editions, aux Editions du Sonneur. J'ai eu envie de raconter un truc incroyable qui m'est arrivé récemment. J'ai eu envie de parler de mes enfants parce qu'ils me manquent dès qu'ils ne sont plus avec moi. Et que c'est souvent. J'ai eu envie de parler de June Bug et de leur premier album génial A Thousand Days. J'ai eu envie de raconter l'histoire d'un homme debout sur le cadran d'une montre qui doit faire des claquettes parce que les aiguilles tournent trop vite. Et il vieillit. Et il vieillit. J'ai eu envie de parler du Livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher et de ce qu'il m'avait fait ressentir. J'ai eu envie de marcher sur la Lune et de faire un dessin rigolo sur le sol. J'ai eu envie de hurler à la face du monde que les bottes de sept lieues ça n'existe pas. Et que ça serait bien d'arrêter de se voiler la face. Du coup, j'ai eu envie de me voiler la face.
J'y voyais plus rien et j'ai pensé à tous les gens que j'ai aimés et à ceux que j'aime aujourd'hui. Je me suis demandé si cette carte blanche n'était pas l'occasion de le leur dire. Mais j'ai eu peur d'en oublier. Et puis je suis un peu pudique.
Alors j'ai pensé à eux. Et c'était bien. Certains ne le sauront certainement jamais... je crois que je l'ai fait uniquement pour moi. Je me suis dévoilé la face et ils étaient toujours là. J'ai eu peur d'être mort. Mais en fait non, les morts n'écrivent pas de carte blanche. En tout cas pas sous Word.
J'ai eu envie de voyager dans le temps et de vous raconter ce que j'avais vu. Mais j'ai loupé le départ de la machine et je n'ai rien vu. Enfin si. Il y avait moi. Et je souriais parce qu'on me demandait si je voulais bien écrire un texte estival. Ou sur l'été. Ou pour l'été. Je ne me souviens plus très bien. Je ne garde jamais de souvenirs précis de mes voyages. J'en garde des odeurs, des images, des sensations. Et parfois un sourire.
(Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d’auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation)
Gilles Marchand L’été jaune carré
Un été jaune carré
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