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Genviève Munier - Lettre à



Marcus Chéri,


Tu ne me connais pas ? Mais, Marcus, tu n’as tout de même pas oublié ? Souviens-toi, nous nous sommes rencontrés au détour d’une page du magnifique roman d’Odile d’Oultremont. Tu planais dans le ciel breton, seul dans ta cabine à trente mètres du sol, et moi confortablement assise dans mon canapé. Je tournais les pages et je t’ai tout de suite remarqué. Peut-être ne m’as-tu pas vue, tellement impressionné par cette Anka qui traversait la place. Qu’avait-elle de plus que moi ? Elle était plus jeune ? Mais, ne sais-tu pas que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ? Plus belle ? Ma grand-mère t’aurait expliqué que la beauté ne se mange pas en salade. Plus intelligente ? Ah ! Sans doute ! Elle a su y faire, se rendre indispensable au bon moment. Mais Anka, qu’est-ce que c’est sinon quatre gouttes d’encre sur un papier poreux tout juste sorties de l’imagination d’une romancière ?


Et quand je t’ai vu tomber sans pouvoir te retenir, c’est à ses pieds que tu t’es écrasé et qu’elle t’a enfin regardé. C’est là que tout a commencé entre vous. J’ai dû supporter de vous voir avancer ensemble. Belle joueuse, je me suis retirée, le cœur en miettes, les yeux en larmes, le corps ravagé. J’ai fermé le livre et je vous ai posés sur les étagères de ma bibliothèque. J’ai essayé de t’oublier. Mais de ce jour, ma vie a changé. Je n’ai plus marché droit devant moi, je n’ai plus jeté l’œil d’un côté ou de l’autre. J’ai flâné, nez en l’air, à la recherche d’une flèche, une cabine, un visage, un regard. Je t’ai cherché partout Marcus, dans le ciel du midi, dans un rayon de soleil ou derrière un nuage.


Et puis hier, tout à coup, au bord de ce chantier peuplé de grues, j’ai reconnu la tienne. C’était la plus belle, la plus haute, la plus rutilante. En virtuose que tu es, tu la faisais danser, tournoyer, virevolter dans les airs. Je me suis arrêtée et je t’ai regardé, je t’ai photographié. Tu m‘as aperçue, j’en suis sûre, mais tu n’as pas bronché. Et je suis repartie, triste, éplorée, ravagée. Quand te décideras-tu à m’aborder ? Je reviendrai chaque jour, je lèverai les yeux, attendrai un signe, un mot, un son. Je ne me fatiguerai jamais de t’attendre. Maintenant que je t’ai retrouvé, je ne te quitterai pas. J’ai ressorti mon livre, je l’ouvre chaque soir et en lis quelques lignes. Je te suis dans l’escalier qui mène à ta cabine et le soir je descends avec toi. Je saute les pages qui reparlent d’Anka et je chemine dans ta vie.


Le jour où tu le souhaiteras, tu pourras venir vers moi, je t’ouvrirai les bras. Le tram à fleurs passera dans un bruit de ferraille et tu me reconnaîtras. J’aurai sous le bras l’objet de notre rencontre et je te l’offrirai mon amour, je t’offrirai "Baïkonour".




Lettre à

Geneviève Munier



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