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Geneviève Peigné - L'interlocutrice


« Je comprends lentement qu'écrire sur ses livres est une trouvaille géniale qui l'a soustrait aux questions que nous lui aurions posées si elle avait écrit sur des feuilles ou carnets. Sont publiés ici, les carnets posthumes d'un écrivain […] Voilà pourquoi votre mère n'est pas muette. Voilà comment Odette garde pied en société. Le livre est une entrée de secours »


Odette est dépressive, Odette est Alzheimer, maladie dont on ne mesure pas l’ampleur, le séisme et la béance pour ceux qui restent et ceux qui la vivent. Odette est malade, internée dans une maison dont elle ne sortira jamais. Odette meurt.


La force de ce récit réside dans sa force de construction dans la découverte de la démence réelle par sa fille, le dialogue qui se construit entre celle qui reste et celle qui n’est plus. Les vestiges deviennent palpables, les mots, des balbutiements, la folie gagne. Les masques tombent en découvrant le trésor secret d’Odette, les livres réécrits dans les marges, les mots à la limite de la démence insondable, crue, la folie des phrases, d’une déconstruction-construction d’une vie, d’une écriture. Car qu’est-ce qu’écrire quand on est soi-disant sain, qu’est-ce qu’écrire quand on est fou, quand on perd la notion, les mots, le sens, les sens ? Trous entiers d’une mémoire en lambeaux, en manques, pans entiers de solitudes, d’amour, de meurtrissures et de maux. Choc de la découverte, choc de la vie d’Odette, de ses sens, de ce Masque, témoignage brutal d’une souffrance, du besoin d’expression, d’une quête de vie dérivant dans les marges d’un livre, de livres, de fantômes.


La colère gagne contre la dégradation, le mal gronde. Chaque mot laissé par Odette et découvert par sa fille, écrivaine, tourne à la schizophrénie, se plante comme un couteau dans le corps, devant le mal, les maux, le besoin de dire la souffrance, de la déplacer quelque part ailleurs que dans la béance d’une mémoire vide. Que faire, que dire des mots découverts, des livres, d’une collection policière connue, remplis de l’écriture d’Odette, des ratures, des expressions enfantines, maladives, folles ? Que faire quand plus rien n’est possible, quand pour ne pas s’octroyer cette folie, le seul moyen est de délivrer ces mots, ceux d’Odette, ceux de sa pensée.


« Mais tenir la page d'un livre, bien plus que d'en écrire, me tenir à l'étoffe du vêtement de ma mère ; la tirer par la manche, qu'elle sache que je suis là - voilà ce que je voudrais ? »

C’est un dialogue entre la vie qui tient à peu de choses et celle qui fuit bien trop vite pour qu'on la rattrape, s'en rappelle. C'est une lecture, les confessions, la conscience, l'inconscience, la folie dans les marges, dans son centre, dans les mots qu'on tente de comprendre, de rattraper, de reconstituer, reconstruire. C'est l'étrangeté du pouvoir de l'écriture, d'écrire c'est quoi, la plongée en encre profonde, abyssale, violente, en mode rappel je me raccroche aux parois d'une feuille, de moi.


Ce roman récit est dingue. Un cri. Une folie. Et l'amour toujours. L’amour d’une fille pour sa mère, pour celle qui était une écrivaine, celle qui écrivit dans les marges des livres, pour celle qui nourrit sa folie, sa vie, pour celle qui reste. Un cri pour ceux, nous, qui ne sommes que des pantins, le désespoirs de cause, un vivant dans un silence où la vie n'est que fil, mur, entrée de secours, sortie sur le vide, un brouillard obsessionnel, épais, aux portes d'un hôpital psychiatrique, aux portes des solitudes.... beaucoup.


Chacun de nous porte une folie au creux, dans les plis de soi.


« Je me demande ce que contiennent les rêves nocturnes des malades. Sont-ils frappés du même amenuisement de l'activité cérébrale ? Je ne sais pas. »


A écouter le Podcast sur la construction d'un livre hors norme, son édition : La vie humaine



L'interlocutrice

Geneviève Peigné

Le Nouvel Attila



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