« C’est là le don le plus absolu que peut nous faire un artiste, par-delà le temps. Car les battements de cœur sont éternels, comme le sont les vagues, l’océan, le vent et le ciel, les nuages et la course des étoiles. »
Gaëlle Josse est une dentellière. Chaque mot posé est méticuleusement ourlé, cousu, fin et précis, musical. On y devine la richesse d’un monde où sous le calme poétique se joue le remous, le caché, la traque d’un mystère, l’humain blessé. L’énigme prend corps, devient voix, songe, inspire la vie, l’histoire. Il n’y a nul autre auteur qui m’inspire autant de délicatesse que Gaëlle Josse, de respect devant son œuvre et son talent.
« Vermeer entre deux songes » rejoint cet univers.
On entre sur la pointe des pieds, tout en délicatesse et mystère, silence devant l’œuvre de Vermeer, Jeune fille assoupie. Comme un rendez-vous fébrile, évident. Une rencontre. Un aimant entre l’œuvre composé et le visiteur qui entre dans la salle dédiée et devine, au milieu d’autres toiles installées dans le Metropolitan Museum of Art de New York, que c’est celle-ci, et nulle autre, qui détient la clé de son propre mystère, qui affirme ce qui grouille en soi, qui est là, sous les yeux et interroge, résonne. Un magnétisme inexplicable qu’aucun mot ou reproduction ne pourrait offrir.
Une évidence pure.
Dans cette ville grouillante, foisonnante, pleine de vie et de contrastes qu’est New York, Vermeer et sa jeune fille sont cet obscur rendez-vous essentiel, une ronde qui se dessine et dresse un chemin vers le beau, le grand, l’irrésolu. La fascination pour un maitre, une œuvre. Cette sensation que ce qui se joue là, n’est pas qu’une scène peinte mais un mystère, une aura, une vie au delà même du dessin, des couleurs. Comme une ronde, des traits qui parlent, des mouvements de pinceau évoquant une danse, un silence, des non-dits qui se devinent, confidentiellement. Tout en ressentis, comme un fil qui viendrait ourler la robe de la belle jeune fille mystérieuse, une plume délicate qui se poserait sur son épaule, dans le silence profond de son endormissement, de ces questions qui assaillent Gaëlle Josse devant ce tableau.
Gaëlle Josse nous interroge sur la perception de l’art, sur ce qui est sous nos yeux et ce qui se trame dans notre âme, notre cœur. Un arrêt sur image dans un monde en perpétuel mouvement, en perpétuel recherche d’un abri, un sanctuaire où les émotions se posent. Un signe de reconnaissance, une histoire qui nous raconte son propre mystère, son errance, la contemplation. Un jeu qui se profile, se dessine, oriente selon l’humeur et la teneur du jour. L’aimant-amant. Une « camera obsura personnelle, intime, secrète » ne cherchant aucune vérité. Juste une liberté. L’inconscient besoin et nécessité de savoir que ce qui se joue devant nos yeux, remue en nous des étendues d’une soif inexpliquée, d’un mystère insondable, la quête, la clé à notre souffle, l’œuvre qui relie à l’écriture, aux mots, à l’élan et la portée.
L’espace.
L’essentiel.
L’épure.
Sa place.
« Je comprends alors pourquoi j’écris. J’écris pour dire des histoires d’égarés, de démunis, de perdus, d’abandonnés. Des histoires d’errants qui marchent au bord de leurs gouffres, qui s’égarent dans leur labyrinthe, des histoires de quel amour blessé, des histoires de mal-aimés, de maladroits, d’enfants solitaires, d’humains trop humain, de désarçonnés. »
Je ne dirais jamais assez que j’aime l’écriture de Gaëlle Josse, que je trouve dans son univers, la délicatesse et la poésie nécessaire. Il y a chez elle, un instinct à l’économie des mots, à la puissance et l’étendue de la beauté infime, à la perception de l’intime dans les détails que nul ne voit, ne discerne, aux silences. Chaque livre, ouvrage, roman est un abri, un lieu où puiser la matière noble, la poésie fine et délicate, la ressource.
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