top of page
  • Photo du rédacteurSabine

Gabrielle FILTEAU CHIBA -Encabanée



« Depuis que l’hiver m’a coupée du monde extérieur, mon refuge a pris forme d’un oasis. L’eau y est abondante, quoique sous une forme solide. Je veux en préserver le secret et y rester longtemps. »

Je n’aime pas parler de l’histoire d’un livre. Elle m’accompagne, contribue à la découverte, au plaisir mais ne fait pas tout. Certes un roman ne peut exister sans sa dimension narrative mais la langue, l'ecriture sont la force, la beauté, l'enjeu, en font le liant, l’émotion, ce sentiment d’accueillir au plus profond de moi, ce qui me nourrit, m’apporte, me berce et me grandit.


« Encabanée » fait partie de ces livres mystères dont on pourrait décrire l’histoire assez facilement, puisque universelle, puisque cheminement, apprentissage. Thoreau et sa vie sauvage, la désobéissance civile, le grand nord. Franchir le paysage, les limites, la folie, la société, vaincre ses peurs. Franchir les frontières de bouleaux, de sapins, affronter le froid quand celui-ci est mordant, glacial, insupportable, les blessures, fendre le bois, réapprendre à se chauffer, se blottir, découvrir l’aurore boréale, la beauté et la force primaire des éléments.


Et puis tu te dis que ce maudite livre, t'as bien fait d'attendre la clarté du petit matin pour le finir, parce que, tabernacle, il est foutrement emboucané. Toi aussi, t'irais bien t'encabaner dans la forêt de bouleaux, saisir la hache, tenter le tour en évitant qu'en même de te défigurer la face. T'irais bien prendre ton trou, te couper du monde, sentir la chaleur de la chaudière sur le poêle, histoire de croire en l'apparition d'un homme des bois. Mais surtout t'irais bien prendre rendez vous avec les coyotes, les bélugas, l'horizon enneigé, l'espérance folle d'un futur possible, ta petite résistance contre les grands exploitants, dégager les chemins, pogner sec la tuque sur la tête, laisser du lousse derrière toi et bâtir ton destin.


« Ma vie reprend du sens dans ma forêt. »

« Encabanée », écrire, vivre de sa plume, de sa poésie, de son autonomie, s’exiler, faire face à sa propre solitude, à ce soi si profond qui ne peut se révéler que loin du monde, loin du bruit, loin de soi. Atteindre l’inatteignable, toucher le rêve, exhausser le vœu primaire et naïf d’apprendre à se détacher et renaitre de ses racines. Etre maître de sa vie, maître de ses choix, de son paysage. Ne faire fi du reste, de personne, encore moins de ce que l’on croit. Affronter, s’affronter, entrer en résistance, renoncer aux compromis, côtoyer l’amour. Rencontrer plus grand que soi, la nature dans sa vérité la plus totale.


Et écrire, écrire. Entrer en résistance. Définir son tracé, prendre pied dans ce qui s’agite, prendre forme. Ecrire. Comme un refuge, une prison, une cellule qui se dresse, devient, prend forme, s‘ouvre. S’appuyer sur le poêle, le seau, ce qui est, ce qui vit, la neige et le froid infini, l’esprit, l’âme. S’activer. Surveiller la chaleur comme on surveille les mots, la pensée, comme on définie la solitude, l’isolement, ressent le manque, décloisonne la cellule. Aimer. Et écrire. S’encabaner. Griffonner, écrire.


Trouver la force de devenir.

S'autoriser.

Entendre sa voix.

Dégager son chemin.

Etre dans les nuits sublimes et glacées du plus proche de soi.

S’ensauvager.


« Les poèmes, il faut les garder pour la fin, les savourer à la lueur d’une bougie. »



Encabanée

Gabrielle Filteau Chiba

Le mot et le reste




51 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page