top of page
Photo du rédacteurSabine

Gaëlle Pingault - Il n'y a pas internet au paradis


« Sait-on seulement à quel point il est facile de détruire des hommes ? Des êtres sans histoire et sans fêlure particulière ? Des hommes solides, bien campés sur leurs jambes, qui en ont déjà vu dans leur vie et à qui on ne la fait pas ? Des hommes au clair avec eux-mêmes et bien dans leurs pompes ? »

Certains romans sont des coups de poing, de massue ou tout simplement ce qui permet de mettre un mot sur une souffrance, un vécu, une véritable douleur, une révélation. C’est ce qui m'était arrivée avec le roman de Delphine De Vigan et « Les heures souterraines», ce roman que beaucoup d’entre nous ont lu ou vu. Un roman sur le harcèlement professionnel, la souffrance invisible, une petite mort que l’on nous injecte par doses homéopathiques mais certifiées destruction massive de l’être, son identité, confiance et amour envers lui-même et les autres.

Il faut beaucoup de temps et de patiente pour retrouver un état qui ne sera jamais celui que l’on a connu, celui que l’on était. Il faut du temps. De l’amour de soi et des autres, retrouver ce qui permet de se remettre debout, de retrouver ce qui donne la motricité, l’envie d’avancer, d’être. Il faut oui du temps et il est long ce temps. Extrêmement long, fragile, très fragile, sensible, car il est important de comprendre chaque particule, chaque moment qui fait d'un état naturel à celui de victime, d'agression.


Gaëlle Pingault aborde ce fait, non seulement la destruction de la personnalité et de l’être mais aussi cette petite mort que l’on vit sans pouvoir la partager, la solitude ressentie par celui ou celle qui le vit et son entourage.


« Prendre la peine de mettre un peu à genoux, de manière préliminaire, les gens que l’on a prévu de frapper ensuite est une façon comme une autre d’être sûr d’en triompher. »

Alex et Aliénor vivent un beau roman d’amour, une belle histoire parsemée de voyages, de désirs, de rêves communs, de beautés et de jeunesse. La trentaine florissante, Alex est ce fameux cadre collaborateur travaillant dans la Grande Entreprise, celle dont on tait le nom mais qui foudroie par des méthodes managériales bien organisées, ficelées. Réorganisations cruelles, sabotages outranciers du travail fourni, gestions quantitatives et non plus qualitatives, restrictions des moyens alloués, mis en quarantaine des idées et des êtres, maltraitance… Le résultat des Ressources devenus Inhumaines, conséquence des évolutions et « compétences critiques pour l’avenir [d’un] groupe », le talent managérial et la mobilité qu’il en suit, la politique sociale menée à grands coups de sabres aiguisés et d’exploitation déguisée. Le prix du sang des rêves promis.

Alex se désagrège. Alex se perd. Alex se meurt. Meurt sous les coups de couteaux de celui que l’on appelle le Boucher, un nom prédestiné à tout « chasseur » de cadres et collaborateurs. Alex se brûle. Alex s’immole. Alex se tue. La Grande Entreprise a décidé de la mort de son associé.


« A quel moment précis commence le harcèlement, à quelle minute exacte se met en place la machine qui massacrera graduellement mais implacablement tous ceux qui se trouveront sur son chemin ? »

Reste Aliénor. Aliénor qui cherche à comprendre ce pourquoi, cette longue et lente destruction, cette petite mort annoncée. Aliénor qui va se battre à armes inégales, avec la force de l’amour, de l’ironie, des souvenirs, de ce qui empêche de sombrer à son tour, de réparer le « préjudice subit », à concilier beauté et la mémoire aimée.


« Nous avons tous un deuil à faire. »

De par son écriture enlevée, touchante, les mots choisis, l’angle donné, Gaëlle Pingault nous plonge dans cette terrible histoire d’une mort programmée avec son rire, son humour, ses petits délices radiophoniques qu’elle nous glisse, nous réchauffe, les bulles du quotidien qui relèvent la sauce, rendent incroyablement humain cette lente destruction, ce lien contemporain qui lie Aliénor à Alex au monde. Elle décortique les rouages, la lente érosion et perte de confiance, d’identité, de confiance, l’estime qui s’effrite, se perd dans les labyrinthes, couloirs et bureaux des Grands Dirigeants.

La qualité extraordinaire de cet ouvrage est l’humour et surtout la tendresse que dépose Gaëlle dans ses écrits, cette dose d’humanité et d’amour envers Aliénor et Alex. On se sent bien sous sa plume, soulagée, entendue, comprise. Sans pathos, sans trop en faire non plus, elle parsème les phrases de cette dose de compréhension, de bienveillance, d’humanité, d’allégresse aussi. On se coule dans l’histoire, se relève, prend appuie sur le courage, la loyauté, la beauté de son héroïne qui n’en est pas une, qui est juste elle, Aliénor. Des bulles d’air, de la lumière et un bout de Paradis. Et cette phrase qui résume ce que doit être une vie.


« Un jour, je ferai la liste de tout ce que je dois à la beauté de l’art. De toutes les fois où elle m’a sauvé du désespoir. Il se pourrait que la liste soit longue. »

« Il n’y a pas Internet au Paradis » fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2017. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées et de celles en cours ainsi que les diverses opérations menées.


Un roman que j’attendais et qui sera sur mon étagère des « à ne jamais oublier ». (En finissant ma lecture, j'ai juste eu envie de réécouter ce titre de Miossec qui est comme le 1er roman de Gaëlle, une bulle de beauté, de tendresse, d'allégresse, de lumière)



Il n’y pas Internet au Paradis Gaëlle Pingault Editeur du Jasmin

15 vues0 commentaire

Comments


bottom of page