Salut ma grande !
Tu permets que je te dise "Ma grande"? Papa et Maman t'ont toujours appelée comme ça. J'aime l'affection et la confiance que portent ces mots.
J'ai trouvé ça sympa de te croiser l'autre jour dans les bois pendant cette balade. Il ne faisait pas très beau, j'avais les arbres pour moi. Et pour toi. Pas d'autres promeneurs, à part nous.
Déjà, j'avais retrouvé ces odeurs de terre et d'écorce, de feuilles, de ruisseau et de mousse. J'ai posé ma main sur le tronc d'un hêtre, j'ai discuté avec un châtaigner et trouvé une maison de fée au pied d'un chêne.
J'ai fermé les yeux pour me percher à nouveau au sommet d'un arbre à scruter l'horizon, à voir le monde autrement et à m'inventer des voyages. J'étais si légère alors, pleine de vie... Au fond, tu ne m'as pas quittée.
Mon corps lourd d'adulte a dansé quelques instants à la cime des arbres dans le vent léger et le bruissement des feuilles. C'est la pluie qui m'a fait ouvrir les yeux. Goutte à goutte. Je me suis dit qu'il fallait rentrer. De gouttes en trombes d'eau, l’averse m'a poussée à l'abri d'un bosquet protecteur.
C'est là que je t'ai vraiment vue. Tête nue et bottes en caoutchouc rouge. Un short, un tee-shirt et une cape, comme souvent. Une branche dans les mains, toujours. Et sans doute des cailloux plein les poches. Tu as filé sans me voir, tout au fond de moi.
Tu n'as pas changé. Je te garde, je ne te lâcherai pas. Tu fais deux pas quand j'en fais un. Tu souris quand je n'en ai plus la force. Tu me donnes des coups de pied sous la table ou tu me fais des grimaces pour me rappeler que tu es toujours là.
J'ai trouvé ça sympa de te croiser l'autre jour, reviens quand tu veux. J'ai un morceau d'écorce et un caillou dans la poche pour toi. Pour te remercier de me donner ton regard à chaque fois que j'en ai besoin. Ce regard d'enfant que j'ai toujours conservé avec le parfum des bois, les marches dans les ruisseaux, la sensation du galet dans la main...
J'aime toujours les bottes en caoutchouc rouge.
Je t'embrasse et te dis à la prochaine fois.
Ta Frédérique
( Ce texte a été écrit suite à une résidence d'écriture que Frédérique a faite en Mayenne au mois de juillet, avec l'appui de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, le CNL et la Ligue de l'enseignement 53.)
Lettre à
Frédérique Trigodet
Un été jaune carré
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