Recevoir une enveloppe. Lire mon adresse et au dos, l’adresse de l’expéditrice. Sourire. Sourire parce que sentir le beau arriver. Ouvrir l’enveloppe sans savoir de quoi il s’agit, ni de ce qu'elle peut receler. Découvrir un recueil, « INTERIEUR. NUIT ». Un écrin blanc, beige, grammage épais, texture épaisse et douce au touché. Un nom Frédérique Germanaud. Une maison d’édition Le Phare du Cousseix. Savoir que le beau ressenti ne peut être que beau promis.
Prendre le temps de toucher le papier, le carnet cousu, retenu. Seul le souffle se penche. Seule la présence de l’instant résonne. Seul le crayon emplit encore les mots, le recueil. Ouvrir. Et traverser la nuit. L’espace serré du carnet cousu.
« Calé Sous le halo de la lampe Je creuse la page d’un œil Morne La lumière me fuit Tenter la nuit J’entends grincer des portes qui n’existent pas Une armoire un placard Une casquette Vide J’écris grince en poussant fort le stylo Je pourrais le faire Avec les dents »
Dans le dépouillement silencieux d’un soir, je lis. Les pages se dressent. Coupe papier à la main, je détache une à une les feuilles. J’entends la nuit murmurer, avancer ses heures et ses minutes, égrener son chapelet étoilé. Sur la table, restant du repas, les miettes d’un quignon de pain. Le verre est encore à demi-plein. Le feuillage grammage du phare du Cousseix éclaire. La pendule peut me désorienter de son passage à l’heure d’été, je ne l’entends pas. Avide de pureté, je lis, je sens, j’hume et ressens.
« J’accueille la nuit dans mon ventre Tiédie par la flamme. »
Je tourne la page du carnet décousu, les mots ouverts. Le crayon « accroche, agrippé dans l’affrontement des heures » que l’histoire n’arrive pas à faire entendre. La nuit inquiète, la nuit ensorcelle, la nuit et son mystère, la nuit et son cortège de questions, d’insomnies aux dents longues. Ressentir un corps. Est-ce donc le mien ou celui de l’auteur qui se questionne ? Remuer délicatement les mots, les verbes, sentir grossir l’écriture, prendre possession du crayon.
« Peut-être que Le dérisoire de vivre Passe par là Par ce filament Qui n’est même pas lumière ? »
Ecrire/lire encore. Tenter du moins. Dans la douleur et l’attente du mot. Dans la noirceur de la nuit sans lendemain. Dans la nuit qui « sent la fougère » et fait hululer les chouettes. Avancer dans le questionnement, camper « dans la confusion », raturer à la pointe du Bic, entendre le vent se lever et les nuages se fondre dans le noir, la lune éclairer.
« Je disparais Dans mon carnet »
Poursuivre l’écriture, poursuivre le ventre vide, affamé, le cœur au bord du précipice. Ecrire encore malgré le dos courbé, les mains ankylosées, les doigts cramponnant la mine du crayon. Ecrire malgré le froid et les pull enfilés les uns sur les autres. Ecrire dans l’épaisseur de la laine et de la nuit. Ecrire encore. Ecrire tout le temps. Erreurs ou commencements, débuts ou fins, poèmes ou récits, romans. Ecrire dans le carnet cousu, dans la nuit où l’on se ment, où la vie nous ment, où les rêves ne sont plus réalités, où l’inquiétude fiévreuse s’empare de notre raisonnement. Animal. L’abandon.
« Seul le crayon soutient mon poids »
La nuit s’effrite. L’aiguille silencieuse avance, les hululements des chouettes s’effraient. Le rythme alanguit, lourd, marque le début du jour naissant, « le premier chant de l’oiseau, la première ombre. »
Une écriture qui vous happe, vous prend et vous tenaille, ciselée dans la brume du jour, pudique dans l’aurore et la présence-force du matin, silencieuse dans la nuit noire et profonde, tout en retenue, en dépouillement et en prose. Une attention portée aux choses, aux souffles du vent, aux vols des étourneaux, aux creux abyssaux sans que cela frise la pompeuse sensation d’un romantisme à outrance. La sensation, l’épure, l’émotion même. On ressent l’espace du monde confiné dans le silence, dans la nuit ténébreuse où se dresse la mèche de la bougie allumée. Le retrait, l’effacement et la force de l’instant, de cette sensation de ressentir avec ardeur, volonté la réalité du moment. Ecrire comme un sacerdoce vital, précieux.
Les mots de Frédérique Germanaud s’imbriquent, prennent possession du corps, se ressentent, se forment. Rien n’est laissé à la nuit, ni les questionnements, ni les réponses. Rien ne lui est laissé et tout lui est offert. Le dépouillement extrême et la prose comme des vers. On pourrait ressentir l’assèchement ou la désillusion de l’encre qui n’arrive pas à se déverser sur la feuille mais le mot poursuit sa lancée, la phrase devient épure et sciure d’encre.
Dans La Chambre d’Echo (paru aux Editions de l'Escampette), Frédérique Germanaud écrivait « Écrire, lire, cela ne suffit pas à partager un territoire ». Nul doute qu’avec INTERIEUR. NUIT il nous est donné la possibilité de pénétrer son terrier secret.
« Il faut savoir rompre Eteindre la lampe Lever le camp Mettre la nuit Dehors »
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