Frédérique Bertrand - Bientôt l'été

« Tout bien considéré, il y a plusieurs façon de voir les choses. »

Chaque année, c’est un peu la même chose. Elle se dit que Noël est terminé, le 1er janvier est passé et qu’elle va vers les beaux jours. Dans quelques mois, jours, ce sera l’été : la plage et ses lectures allongée sur une serviette de bain, le temps et sa chaleur bienfaisante, les joies du rien et du tout, surtout du tout, ne rien faire et laisser le cerveau se reposer, arrêter le trot lancinant des minutes qui égrènent l’année, le rythme fou, les injonctions de la société. Bientôt l’été. Même si on est encore que le 1er janvier. Ankylosée et nauséeuse. Enfin surtout « en kilosée. » En surcharge sur cette balance qui indique le nombre insupportable, des grammes en trop. Comme tous ces magazines qui donnent des conseils pour éviter la culotte de cheval, la hanche plombière, les fesses relâchées.

« Quand il est temps d’agir, réagissez. »

Arrêter viande, bœuf, cochon. Aller à la maison de la culture pour se dé-cultiver. Privilégier mouvements et nouvelles tenues d’été. Essayer petites robes et corps sous les néons blanchâtres des cabines où il est impossible de caser son corps en kilosé. Privilégier les pompes à défaut des pages à tourner. Culpabiliser. L’impression d’un monde opposé, lourd, diminué. Faire face au quotidien, marché, supermarché, croquettes du chat, litière, fer à repasser, programme chargé sur essorage machine à laver, heure du goûter, heure des devoirs, ranger, préparer, heure du diner, manger, ranger, manger, ranger, manger, dormir, recommencer. Et puis s’acheter une tablette de chocolat. Récompenser et plonger. Replonger. Culpabilité. Gainer. Tonifier. Bientôt l’été et toutes ses injonctions insoupçonnées pour apprendre à gérer, se gérer, le stress, la mère, le travail, la femme. Zen. Zen. Zen. Femme… Femme ? Etre une femme.

« chaque jour, chaque fois, chaque lundi, chaque mardi, […] chaque semaine, chaque hiver, […] chaque moi, chaque trimestre, chaque heure, chaque minute, […] chaque chose en son temps, chaque couplet, chaque refrain, […] chaque rentrée, chaque noël, chaque anniversaire, chaque… »

Une ligne directe, un roman graphique, un poème dessiné, un crayon, un trait, une hachure, un dessin et celui qui lit. Ecrit-lecture. Densité fragilité, vérité incontrôlées, variations sur le même t’aime. Entre émotions et sentiments sur son corps, le corps, le regard, son regard. Déviation dangereuse, jeu des chaises musicales. Bancales Etre bancale, fragile sur le fil des kilos qui sont là, arrondissent, s’arrondissent. Les mots courent, se heurtent les uns aux autres, à la fin de la page, débordent des lignes blanches non dressées, interrogent, font face aux questions, répondent aux illustrations. Jeu de miroirs. Déformants. Déformés. Jeu de la vérité. Le jeu d’un corps malmené.

Et bientôt l’été

« Passer au filtre des émotions et des sentiments. »

Bientôt l’été

Frédérique Bertrand

Esperluette Editions