« C‘est bien simple : Rose et Hyacinthe, mariés depuis quarante-cinq ans, ensemble, depuis toujours, ne s’entendaient sur rien. Hyacinthe et Rose, Rose et Hyacinthe. Hyacinthe était coco, Rose était catho. Hyacinthe aimait boire, Rose aimait manger. Hyacinthe aimait la bicyclette, la pêche à la ligne, le vin rouge, la belote et les chants révolutionnaires, Rose préférait les mots croisés, le tricot, l’eau de mélisse, les dominos et les cantiques. Hyacinthe aimait trainer… à table, au lit, au bistrot, avec les copains, sur un banc, dans un champ, sur les talus, à observer les nuages…
Quand la tendresse des mots de François Morel nous rappelle les souvenirs laissés dans les cours des fermes, des maisons basses où les champs étaient le seul horizon, les blés à ramasser, les mares d’eau croupie où les grenouilles et crapauds se gargarisaient de chants nocturnes, les poules entraient sans crier gare sur le seuil de la maison. Quand l’enfance vous revient par la plume malicieuse et sensible d’un auteur que j’affectionne, les images ressurgissent, le vin de messe se boit cul sec dans les troquets berrichons, les rires et les histoires à l’accent oriental retentissent.
Ressurgissent alors les odeurs de tartes aux pommes, les pâtés de lapin, la soupe de soir, le repas du lendemain, le vieux grenier qui sentait la poussière et le canapé usagé. Reviennent par tracteurs entiers (remorque comprise), les champs d’amour, les vieux châteaux qui n’étaient que simples murets, une cour abandonnée, les brouettes calèches, la vieille Renault 4L poussive aux sièges arrières laissés dans la grange remisée en garage. S’amuse la mémoire des gallinacés qui nous poursuivaient dans la cour, l’œil retord, l’ergot libre et la crête somptueuse.
Se remettre les pistils et pétales, les fleurs de laurier, les tulipes et roses, celles sauvages qui ornaient jardins et vases, ces coucous que l’on cueillaient à pleines mains, les dahlias, les boutons d’or qui ornaient nos mentons d’une tache jaune, les myosotis agrémentés de pâquerettes aux cœurs rayonnants, les arbres fruitiers qui l’instant d’une saison se revêtaient d’un nuage de fleurs blanches, présomption de fruits, d’abricots et de cerises à n’en plus finir.
Se remémorent les engueulades malicieuses, empruntent d’une tendresse bourrue, de mots que l’on ne dit pas mais que l’on devine dans les yeux. Ces mots qui ne sont que des marques d’amour qui se transmettent, n’héritent et deviennent des terrains fertiles à aimer les autres, l’autre, celui qui, celle qui, ceux…
Réapparaissent ces étés passés où les départs se terminaient sous une pluie de larmes qui devenaient de grands ruisseaux tant le temps paraissait long jusqu’aux prochaine fois.
Et c’est tellement bon, chaud, fort, tendre qu’une fois terminé, on relit Hyacinthe et Rose pour le plaisir de retrouver celui et celle, ceux qui nous ont permis d’être des petits-enfants aux yeux grands ouverts et le cœur rempli de fleurs des champs. On ré-ouvre les pages et on se grise des planches de Martin Jarrie, on cueille à pleines brassées ces fleurs albums herbiers qui sont nos souvenirs d’une enfance que l’on ne peut oublier.
« L’univers, les mystères de la création, l’espace, l’infini… Hyacinthe et Rose n’étaient pas des spécialistes. Le ciel, le mouvement des galaxies, ça leur passait au-dessus de la tête. Mais ils ne regardaient jamais une fleur de cosmos sans une sorte de penchant philosophique, l’étonnement d’être au monde. » « Les fleurs sont aussi là pour notre plaisir. Pourquoi faudrait-il les préserver si on ne prenait pas aussi du plaisir à les regarder, à les sentir. Si les fleurs sont l’œuvre de Dieu, nom de Dieu, alors les chiendents et les mauvaises herbes aussi. Rien que des bondieuseries pour vieilles superstitieuses ! De la bigoterie pour sorcières ! Pourquoi ne pouvait-il jamais s’entendre ma vieille Rose et mon vieux Hyacinthe ? Pourquoi leurs façons de se dire « je t’aime » passaient toujours par l’invective, l’offense et les sarcasmes ? »
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