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Francis Tabouret - Traversée


« Mes souvenirs de traversée sont assez flous : la ligne d’horizon, le tain des vitres de la passerelle, la chaleur et le bruit des machines, le vent, le lent roulis du bateau qui si souvent est torpeur, l’envie parfois furieuse de tempêtes, le regard des bêtes… mais d’événements, d’un lendemain qui serait différent d’une veille, je ne me rappelle pas. Je crois que j’étais hébété, d’eau et d’horizon. […] En mer, le seul qui se noie vraiment c’est le temps. J’ai débarqué ne sachant plus combien de jours j’avais été en mer. »

Comment parler d’un récit qui n’est qu’océan, langueur imaginaire d’un monde lointain, errance, douceur et vibration des moteurs ? Comment parler d’une histoire qui déroute des habitudes, allie simplicité des mots à la poésie d’un voyage d’une quinzaine de jours où les fuseaux horaires varient au quotidien, où la vie à bord d’un cargo n’est pas celle que l’on croit mais celle que l’on vit, dans l’humanité d’un monde clos, des cales regorgeant de containers, de silence et bruits. Un voyage transatlantique, d’un port à l’autre, d’une rive à l’autre, d’un continent à un autre continent, des méandres de la Seine au port de Fort de France, du Havre au Diamant. Le récit d’un convoyeur d’animaux.


« La ligne d’horizon est à 20 000 milles nautiques : ce n’est pas la vue qui se perd, c’est la mer qui s’est perdue après l’horizon. […] Aucun relief. L’océan n’est peut-être, après tout, qu‘une sorte de Beauce.»


Il y a dans ce premier « roman », cette beauté des silences propres aux voyages, cette attention à la vie, au bouleversement qui contribue l’aventure humaine, arrime à la beauté des petits riens et aux douleurs des grandes choses. Traversée est une « traversée », une image de navigation où se mêle le travail d’un soigneur de chevaux, moutons et taureaux, à la vie à bord d’un cargo, de ce monde image d’Epinal où suinte les marins au visage buriné et aux cales graisseuses empreintes des longues aventures maritimes sonores. Il n’en est rien.


Traversée est un long silence, une poésie qui nous attache à l’univers du Saint Pierre, cargo containers, aux difficultés dues au voyage, du travail à bord, de la chaleur des cales, des vents contraires et moroses. Simple, modeste, limpide et imagé, Francis Tabouret joue sur une écriture déconcertante, emplie de cette langueur propre au voyage et à l’errance, à l’ennui, l’âme humaine, la joie ou les désillusions. L’écriture devient désir et rempart, éclaircie et besoin de raconter non pas le voyage comme un récit ou un journal de bord mais comme un lieu singulier, des lieux symboliques, un imaginaire propice à la pensée, la solitude.


Fragmenté, perdu dans un océan à perte de vue, cette traversée devient plan de navigation, fuseau et horaire, vide, ennui et perte. L’espace s’installe dans le récit déroulant sa poésie. L’ancre s’encre. Les cales bruissent de hennissements, bêlements et de fatigue des taureaux assoiffés. Les journées s’étirent dans la calme et le silence laissant place aux jours suivants et la découverte des iles, des bruits et fureurs des hommes, des gestes et conversation à réapprendre, la grandeur d’un espace qui navigue sur les eaux puis s’arrime à la terre.


Les contrastes des mondes s’installent et l’écriture de ce récit poétique nous saisit.


« Peut-être que voyager, c’est justement cela : s’extraire enfin du centre du monde ».


Traversée

Francis Tabouret

POL

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