top of page
Photo du rédacteurSabine

Erwan Larher - Pourquoi les hommes fuient ?

Dernière mise à jour : 24 août 2019


« Fuir. Ceux qui assènent, ceux qui martèlent ; les " c'est comme ça" ; les " on y peut rien " ; les " c'est la vie " . Fuir parce que rien ne changera. [...] Fuir la honte Fuir son propre reflet hideux dans le miroir. Fuir. »

Comment parler de ce livre ? Comment parler de ce livre sans y mettre des émotions, sans me sentir complètement vide et intimidée. Une peur bleue. Celle de passer à côté. Celle de perdre mon identité, de vouloir toucher le soleil et me retrouver cramer. Un peu comme ces musiciens, ces rockeurs de salles obscures qui accèdent à la grande scène et se cassent la gueule juste avant de monter sur les planches. Minable. Ce n’est pas de l’ego, mais juste ce sentiment de culpabilité, d’estime de soi qui se rappelleà moi. L'ironie de la vie, les sarcasmes sous lesquels on se réfugie.


« Les gens qui ne sont pas scarifiés à la culpabilité pensent qu’il suffit de comprendre qu’on n’a aucune raison de culpabiliser pour cesser de culpabiliser. […] C’est un sentiment étrange, la culpabilité. Une maladie qui ne se voit pas. Une maladie qui poisse et colle. Une maladie glaireuse. On s’y habitue, comme on s’habitue à ses seins ou à son cul – qu’on n’aime pas pour autant. »


J’en étais là me demander ce que j’allais écrire sur ce foutu roman, à me frotter à mes mots et pensées, à ces visages qui se bousculaient telle une foule en délire qui attendait les premiers accords d’une guitare électrique bien rodée, face à cet auteur, écrivain, pédant et imbue, qui n'attendait qu'une seule chose : la possibilité d'une nuit avec sa muse, la belle et jeune Jane, au sourire mordant, ironique, carnassier. Dark Angel.


Qu’écrire sur Erwan Lahrer et son dernier ouvrage, puissant, fort, sensible, intrigant, déroutant, touchant des domaines contemporains, futurs, ceux qui dérangent, ceux qui font bousculer notre monde, notre société. Une forme et un fond. Un roman protéiforme, malmenant son lecteur, le laissant entre un rire et un mordant, une colère et un sentiment d’humanité décomplexé. Un fond où la rage, la violence d’une société, l’émergence d’un futur possible, l’entraide nécessaire et énigmatique, les coups et les déroutes, les amours éphémères et la quête d’un père. Un Autogenèse bis, un hommage à Marguerite qui n’aime pas ses fesses, A L’abandon du mâle en milieu hostile, un Entre toutes ses femmes. Qu’avait-il fait de moi pour me rendre si désarmée face à ses mots. Qu’avait-il fait de moi pour que j’en vienne à me poser la question de me retirer, partir loin, déboussolée, quittant le navire, Le Bateau Ivre, la scène, à la recherche d’un lieu hostile qui saurait m’accueillir.


Fuir !


Oui c’est cela ! Fuir comme les hommes fuient lorsque la tâche se révèle trop ardue, lorsqu’il est plus facile de baisser les bras et retrouver son confort ou ses certitudes. Fuir et surtout ne rien dire. Frissonner, trembler, se taire. A tout jamais. Laisser la main plaquée les derniers accords et s’en allait sans se retourner, abandonnant au passage ceux et celles que l’on aime. Fuir, comme les hommes fichent le camp quand l’intime se fourvoie jusqu’à eux. Fuir et partir vers un lieu, retiré de toute vie. Fuir le monde, la colère, les déceptions, l’amertume. Fuir avant l'Apocalypse.


Fuir avant que la vie vienne titiller de nouveau, ébranler nos certitudes de personnage bien campé dans ce monde ultra codé. Fuir avant de rencontrer celle qui d’un regard, d’un mot saura vous chavirer par sa quête de vérité, la recherche du père, l’histoire de sa mère, sa quête d’identité, d’un monde où la folie côtoie le laid et le beau. Jane, Jo et Jo.


Chercher les mots, la phrase. Pourquoi les hommes fuient ? Pourquoi les femmes s’accrochent ? Pourquoi on cherche tous à laisser une trace et qu’elle disparait en même temps que notre dispariton ? Pourquoi dans ce monde où les plus forts gagnent, l’émotion atteint son paroxysme et nous étouffe, nous pousse à flirter avec le monde, la violence, l’humanité noire et déshumanisée, l’ironie et la tendresse comme bouclier ?


Crier ! Crier et hurler ! Rire et aimer ! Rencontrer et partager ! Être obsédée par la vie, la bouffer jusqu’à en crever, jusqu’à la luxure des corps et la robotisation des membres. La dévorer comme pour mieux revenir à l’être primitif dans un monde où tout se détraque, où tout est politique, politisé, policé. Rechercher la vérité. Fuir pour revenir.


Erwan Larher a encore une fois écrit sur des mots qu’il est difficile de dire, sur cette boue qui stagne, ces fantômes qui nécrosent notre âme, sur ces vérités qui sont difficiles à accepter, sur la quête d’identité. Il a encore une fois su renouveler son jeu, improvisant des solos majestueux et intimes, des accords énergiques et modernes, énigmatiques, post apocalyptiques, virevoltants dans une société qui va jusqu’à l’écœurement d’un moi existentialiste, surdimensionné, d’un moi où les regards fuient les réalités.

On pourrait penser ce roman d’un noir absolu, (il n'en ai pas si éloigné) une ivresse et névrose contemporaine. Il n’en est rien pourtant. Ce roman est une force de frappe, celle des émotions, de la rage de vivre, la force qu’il faut pour ne pas fuir, pour tenter de rester encore un peu, faire bouger les lignes, la tendresse pour avancer, construire une humanité autre que celle pressentie. Et parce que rester, c’est se perdre aussi dans une époque où tout est fuite, mouvement et emportement, impulsivité et fascination.


Pourquoi les hommes fuient ? Peut- être pour« Perdre la pureté de nos mondes intérieurs, en trahir le délicat agencement en tentant, trivial, de les relater, de les expliquer, de les dire. Mais si on essaie pas, alors quoi ? »


« Après tout, pourquoi faudrait-il absolument laisser quelque chose. L’oubli, c’est pas mal aussi. »


Pourquoi les hommes fuient

Erwan Larher

Quidam

26 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comentários


bottom of page