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Photo du rédacteurSabine

Elsa Montensi - Poussière d'étoiles


Très tôt, il y a eu ce regard. Incrédule, critique sur le monde. Au clinquant de la lumière, je préfère la profondeur de l'obscurité ; aux sons rugueux, la douceur du silence. Ce que la majorité de mes compatriotes fuit, je m'en délecte. Pluie fine, pluie douce ou régulière, pluie d'automne ou de fin d'été, qu'elle soit délicate ou cinglante, je la préfère au soleil. Le silence, l'immobilité souvent effraient, ils m'attirent comme des aimants. Enfant, je convoquais la pluie pour laver le monde. Les matins d'automne, la joie de découvrir le paysage sous un manteau de pluie. Les adultes, eux, s'en plaignaient. J'imaginais la tristesse de la pluie si personne ne savait l'écouter. Attentive à son chant sur le toit, j'aimais l'entendre se déchainer avant de s'adoucir dans un murmure. Sa présence me rassurait. Grâce à elle, je pouvais me soustraire aux pressions du dehors, m'aventurer sur les terrains vagues du temps, m'adonner à la lecture sans scrupules.


Le temps nous dépouille de tout, sauf de l'essentiel. Il me semble avoir été mise au monde avec une seule grâce, avec cette quête d'absolu. J'aime le parfum suranné de ces détails que le monde balaie d'un revers de main. Lui seul me donne le gout d’être en vie. Je n'ai pas d'autre ambition : vivre pour ces poussières d'étoiles, pour ces matins de brume. Des yeux qui voient ce que d'autres ne voient pas, qui se refugient dans les replis oublies de l'existence, je n'ai pas de plus grande richesse.


Ce matin, j'ai écouté la pluie. Assise, je regardais par la fenêtre. La pluie dévalait à toute vitesse la ruelle en pente, les paves luisaient, heureux d’être si bien lavés. La pluie a redoublé d'intensité. Ma joie s'est agrandie. J'aime la beauté du ciel en deuil. Camaïeux de gris. Perle, argent, plomb, étain, souris, tourterelle. Je n'ai aucun scrupule à me soustraire à la vulgarité du monde. Je suis restée ainsi toute la matinée. Mes pas agités n'auraient fait qu'ajouter à la folie collective, je préfère cultiver la paix dans chacun de mes gestes. Mon plus grand luxe : des jours entiers à m'étourdir de silence. Construire des châteaux de sable, regarder tomber les feuilles d'érable, offrir mon visage a la bruine et au vent, je n'ai pas d'autres urgences que celles-ci. Seringats en fleurs. Mésanges rieuses. Papillons amoureux. Tourner les pages d'un recueil de poésie. Caresser les mots du bout des doigts, autant de refuges à l’ envers du temps. Le silence me souffle à l'oreille des mots d'amour. Aucun homme ne me parle ainsi.


Je déserte l'acharnement du monde, son obsession pour gagner à tout prix. Dans les rues déambulent des fantômes. Regards vides, enfants éreintes dans des costumes trop étroits pour leurs rêves. Visages impassibles, rage étouffée, larmes enfouies. Accepter de se couler dans la société, c'est recevoir la garantie de se faner plus vite qu'une rose. L'argent, la reconnaissance : des emplâtres de fortune sur une blessure qui suinte, n'en finit pas de se nécroser.


Très tôt, on demande aux enfants: « Que veux tu faire dans la vie ? ». Qu'ils renoncent à leurs rêves. Voila ce que l'on attend d'eux. Qu'importe s'il faut piétiner son désir pour se plier à la folie du monde. On veut de l'ambition, du sérieux. Des paroles amidonnées, un moi usé jusqu'à la corde, telle est la promesse des adultes faite aux enfants. Ils appellent cela le bonheur. Une vie pesante, vécue en apnée. Les heures creuses s'égrènent dans un bruit mécanique, et nulle part où planter ses rêves. Cistes odorants, thym citron, romarin, le parfum des pierres brûlantes au soleil : les sentiers caillouteux de l'enfance évanouis sous la dureté de l'asphalte. Les murs du monde nous éloignent de la beauté de l'éphémère.


Les êtres chancellent, le cœur froissé, jeté en boule sur des terres d'exil. Leur vie jetée aux orties, le désir confisqué. Pour continuer à avancer, de nouvelles promesses. Un avenir meilleur, des lendemains joyeux. Et si demain se perdait en chemin ?


Chaque jour au réveil, je récite ce haïku d'Issa : " Papillon qui bat des ailes je suis comme toi un être de poussière "

Je fais vœu de présence à chaque instant. Je ne connais pas d'autre moyen pour être à la hauteur de cette vie : conjuguer le désir au présent. Les heures ne filent plus entre mes doigts impatients, les aiguilles se sont arrêtées. Je bois à petites gorgées le bleu du ciel, immergée dans un bain de silence. La succession des jours m'offre l'ivresse. Au printemps : le vert transparent des feuilles, le mœlleux des lits de mousse, la tendre explosion des fleurs de cerisiers. L'été, protégée sous les branches d'un saule pleureur, je lis des heures assise à son pied. Fièvre estivale, soleil de plomb, je les fuis dans de longues promenades ombragées le long de la rivière. Pivoines flamboyantes, parfum poudre des roses anciennes, buissons de genêts entêtants bientôt suivis de l'odeur des feuilles mortes ou des champignons de sous-bois. Empreinte de la mélancolie. Nature dénudée. Les chrysanthèmes annoncent l'hiver, les primevères le retour du printemps. J'avance sans autre plan de carrière que celui de la joie glanée au fil des instants. Mon désir est un funambule de l'instant.


Ma vie tient dans le creux de la main. Pour la consoler des douleurs du monde, je n'ai que l'encre et le papier. Alors, j'écris. Sur une table de noyer, sur mes genoux. Images ensevelies, non-dits, sensations interdites se transforment en sculptures de mots. L'écriture s'immisce dans chaque repli du quotidien. Attention accordée à une simple intonation de voix, à un détail invisible aux yeux du monde. Chaque page écrite est une revanche sur la mort, un bout de vie qui ne se perdra plus. Magie des lettres écloses sur une feuille blanche. Chaque matin, je recrée l'univers. J'efface les ratures que font les chagrins sur nos cahiers d'écoliers.


J'écris pour traquer le désir. Pour laisser une trace aussi éphémère que des pas sur l'eau. Au fil des mots, dans la clarté d'un ciel d'été, dans la lumière orangée des kakis d'automne, je sens le pouls de l'univers. J'apaise ce désir d'absolu qu'aucun amour ne pourra assouvir.


Il vous arrive de rencontrer au détour d’un livre vos mots, votre façon de vivre, de penser. Il vous arrive au détour d’un livre de vous rencontrer, de vous reconnaitre. Ce moment est alors un formidable moment d’intimité avec votre vrai moi, celui de votre miroir. Le recueil d’Elsa Montensi, « Désordres lettre à un père » est devenu mon carnet de mots, ma ligne d’écritures. Une douceur perturbante. Un bonheur improbable. Par les mots que j’ai vu, par la saveur que j’ai reconnu. J'ai lu et relu ce recueil. Il est devenu mien en quelque sorte.


Elsa Montensi a accepté que je publie son texte lu lors des rencontres de la nuit de la littérature à Lausanne. Un cadre improbable, une atmosphère chaude sous le ciel étoilé d’une nuit d’avril. Un moment unique où je me suis retrouvée au milieu d’auteurs tous plus enivrants les uns que les autres. Une nuit dans une maison où la littérature a éclos.


Poussières d'étoiles Elsa Montensi

Un été jaune carré

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