« Il y a eu un moment de flottement, le monde entier semblait s’être tu, tout du moins chuchoter, le monde entier retenait son souffle pour accueillir ce bébé dans un moment de paix, d’extase même, c’était le petit pain, le soleil se levait et il faisait si beau, tout était si doux, si ouateux, rien ne laissait présager la bataille qui commençait. »
Comment raconter l’histoire de ce roman qui touche à l’intime, l’arrivée de l’enfant qui nait bien prématurément. Comment raconter l’irracontable, la douleur, les doutes, les angoisses, les peurs tenaces, incontrôlables, la folie., l’attente, l’espoir d’un possible, d’un peut-être. Et l’angoisse toujours, encore, celle qui monte, devient plus que tout, prend toute la place. L’enfant qui est là mais tôt, bien trop tôt.On a beau le savoir que cela peut arriver, que cela existe, que la médecine est impuissante. Prématuré, grand prématuré. Les poumons, le tube en plastique dans la trachée du bébé. Cyanosé. Décharné. Les fils électriques. La sueur. Les larmes. Le sang. La peur. Incontrôlable. Incontrôlée. La peur qui « barbouille tout de noir ».
Comprendre quoi, le comment, le pourquoi. Comprendre que malgré l’accouchement facile, « étrangement facile », malgré l’émerveillement et la confiance de la naissance, l’impression d’être la femme la plus puissante, le bébé est un bébé petit dragon, un bébé miniature avec des os saillants, les substances visqueuses et un peu dégoutantes.
« On ne dit pas ces choses-là car les mères ne sont qu’amour, car les mères ne sont que don de soi et abnégation, elles sont faites pour ça, c’est ainsi, les femmes ont un truc avec les bébés c’est certain. »
Pourquoi l’enfant tant désiré, est prématuré ? Pourquoi celui qui a été fait dans l’amour, avec amour, a grandi dans le ventre de sa mère sans que le corps médical ne s’inquiète plus que mesure, nait avec des semaines d’avance ? Pourquoi cette angoisse, les peurs, qui grandissent en même temps que César, l'enfant dragon. Pourquoi ces multiples électrodes sur son corps, cette courbe de température qui ne baisse pas ? Et puis comment être mère dans de telles conditions, comment accueillir cet enfant qu'on ne cesse de dire normal ? Comment concevoir cette féroce amour qui remplit tout, devient tout, fait de l’enfant de quelques jours un enfant armer de cet amour vorace et tentaculaire d’une mère meurtrie, d’une mère qui pour tenir, ne croit qu’en sa force, son courage et son masque de louve.
.« Ça tient si chaud la peur, ça colle si bien à la peau. Fou comme on s’y habitue »
Il m’aurait été facile de passer à côté de ce roman, du roman d’Elsa Flageul, de délaisser sur ma pile « A nous regarder ils s’habitueront ». Mais la force de ce roman est l’écriture d’Elsa, une écriture ventrale, quasi utérine, qui prend sa source dans les tripes d’une mère, dans ce que ne peut être nommé, cet instinct qui nait comme nait l’enfant, sans savoir s'il sera possible de faire face, quelle mère deviendrons nous. Un instinct comme une survie, une vie.
Elsa Flageul nous donne cette chair, cette folie, cette naissance qui jaillit, bouscule les doutes, les peurs, la crainte et l’angoisse indomptable qui surgit. Une force de louve, de dragonne qui empêche de tomber, qui crie, telle une bête féroce, indomptable et fait d’une mère, un animal sauvage mais terriblement vrai, sincère, attachant, aimant.
Une mère, un père, un enfant, comme une bravoure, faisant face à la fatalité, face au vide angoissant, une force fragile mais vitale. L’apogée d'une vie.
« Les bébés sont robustes, leur fragilité est un habit dont ils se parent pour que le monde entier n'oublie pas de les protéger mais ils sont plus courageux, plus grand que nous.»
« Il voudrait lui dire que parfois, il suffit d'un rien pour être meilleur à son tour, pour croire en la vie à nouveau il suffit d'un sourire inconnu, d'une politesse, d'une considération. On est si facilement humilié par la vie, si souvent giflé par son âpreté, si vite blessé par sa dureté. On est si vite rien.»
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