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  • Photo du rédacteurSabine

Davodeau, Joub, Hermenier - Les couloirs aériens



« Cette année, j’ai eu cinquante ans. Plus jeune, je me suis souvent demandé ce que je serais à cet âge là. C’était comme une obsession. Eh bien voilà. J’y suis. »

La cinquantaine. Cette ligne invisible, tangible, fragile, traite, surprenante qui sépare en deux un bout de vie, un bout de quelque chose, de quelqu’un. Quelques bougies de plus sur un gâteau et des années qu’on ne cesse de reculer, ce couloir qui s’entrevoit, ces rêves remis au placard, ces amis perdus, la famille-enfants-parents-couple qui se détache, se modifie. Deuil, parentalité, divorce, chômage. L’image productive dynamique dépassée loin de notre jeunesse rêveuse, insolente et ivre de vie. La cinquantaine. Hier la force vive, aujourd’hui la force fragile. L’heure du bilan. Le résultat d’une presque petite vie. La fête se termine. Les amertumes et les regrets, les choses réussies et les virages déviés. Additions, soustractions et pas mal de divisions après les multiplications. Une vie qui passe.


Se mirer dans le tain d’un miroir déformé, marmonner quelques mots pour se prouver une existence encore pleine de richesses, sortir et faire quelques pas dans la poudreuse des grands espaces enneigés. Partir en dehors des chemins balisés, sans filet ni raquettes aux pieds. S’en foutre des chaos et des lignes bien tracées, de la nostalgie de l’amour qui s’effrite, des amitiés qui ne répondent plus présents, des enfants qui ont grandi et ne sont plus nos enfants mais des adultes affirmés, des parents qui ont laissé les albums d’une vie passée. Partir loin du temps qui tourne comme un coucou et s’enfoncer dans la neige, dans la vie. Croiser d’autres yeux, d’autres mains, d’autres caresses. Sortir des cartons les objets de notre enfance, déballer les souvenirs, les étaler et photographier pour mieux les donner, les offrir comme on partage un peu d’instant, des rencontres, des mois, quelques années, une vie. Se remettre à rêver, à croire. S’en foutre des courbatures, ce ventre mou, des plis en trop. Reprendre la route, sortir de la torpeur. Faire le deuil de cinquante ans ou presque, entrevoir d’autres horizons, espérer, y aller.



« Je ne vois que des gens qui se croisent et qui passent du temps ensemble. Quelques mois, quelques années, une vie. On fait comme on peut, Yvan. Nos vies ne font que dévier. Les lignes droites n’existent pas. »


Et le trio Davodeau, Joub et Hermenier nous offre un petit bijou, une bande dessinée qui fait un bien fou, la fragilité force nécessaire pour s’arrêter, regarder, aimer, se croire encore un peu ces jeunes adultes insolents que nous étions. La vie qui passe, la vie qui vient, la vie qui reste. Retrouver le Davodeau de Lulu, femme nue, Les mauvais gens ou Les ignorants… Celui que j’aime tant. Celui au regard sensible et humain, fragile et fort, un peu fini mais loin encore de la fin.


Un roman graphique comme un bon vin qui, malgré la poussière déposée sur la bouteille, se boit délicatement, précieusement avec autour de soi ces visages qui se posent, se regardent et rient du miroir de la vie. C’est beau et ça fait du bien. Un bien fou. Un bien fou comme un voyage qu’on s’autorise, des balades sinueuses dans la poudreuse qui nous font lever la tête, déraciner le corps, plonger avec délice dans la vie telle qu’elle est : des instants fugaces, des souvenirs qu’on laisse et d’autres qui se créent. Des lignes courbes bien mieux que des horizons plats. Des longs couloirs aériens.


« C’est peut-être à ça que servent les histoires : nous aider à vivre. »

Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Noukette



Les couloirs aériens

Etienne Davodaux, Joub, Chirstophe Hermenier

Futuropolis




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