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Photo du rédacteurSabine

Constance Joly, Lisa Balavoine - Lettres à (5/6)


Santa Fe, premier jour de printemps


J'ai beaucoup réfléchi à ta question. Quand on s'est connues, je t'aurais dit "rouge" je pense, comme le sang qui afflue sous le coup de l'émotion, comme une lèvre gonflée de baisers, comme les nuages du soir qu'on regardait depuis ton balcon en fumant nos clopes, comme nos nuits d'adolescentes pleines de musique et de néons. Aujourd'hui, je crois que je me raconterais en blanc. Le blanc de la neige, de la lumière et du lait, mais aussi le blanc de la foudre et de l'écume. Je crois que le blanc, comme le noir, ne sont pas l'absence de couleur, mais la réunion de toutes, et ça me convient. Je suis une page blanche, une nuit blanche, une balle à blanc. Paix, pureté, simplicité. A défaut de l'or liquide dans lequel tu nages, ma belle amie, tes grands cheveux blonds épars et le coeur régulier, ce programme me va.


J'ai entendu le raclement du tonnerre cette nuit, qui a récuré le ciel, si bien que ce matin teinte comme du cristal. Le sol gorgé d'eau s'est amolli et quelque chose s'est alangui dans ma poitrine. Je sens que tu as raison. Il faut que les orages passent, que l'herbe repousse, que le torrent forcisse, que les ruisseaux débordent, que la joie revienne. J'ai cueilli dans ma main une branche d'acacia pleine de minuscules bourgeons au duvet soyeux. Je t'en poste un avec cette lettre, je n'y crois pas trop, mais mets-le dans l'eau, peut-être qu'il fera des racines ?


Merci pour Anne Carson, j'ai lu il y a longtemps une phrase d'elle, qui m'est revenue en mémoire :


La réalité est un son, il faut s’aligner sur sa fréquence et pas juste continuer à hurler.


Tu me manques aussi. Une idée folle, soudain : et si on se prenait quelques jours ensemble ? On pourrait se retrouver à mi-chemin ? Je prends ma main sur la carte et avec les doigts, j'essaie de mesurer la distance pour trouver un milieu. Sante Fe/Montréal : à peu de choses près, ça donne Indianapolis.

Hope is the things with

feathers

And sings the tune without

the words,

And never stops

at all


etc.

C




Montréal, les Foufounes Electriques, un soir.


J’ai remis le nez dehors. Je t’écris depuis ce bar où je suis allée voir un concert toute seule, à l’autre bout de la ville que j’ai traversée à vélo, l’air doux caressant mon visage. Il ne fait plus froid, la joie revient ici aussi, avec le soleil timide, les bourgeons frémissants et le chant des parulines jaunes. J’ai soudain eu envie de ça, retrouver la vie, les visages souriants, la musique à pleins tympans, une bière au comptoir, les mots des inconnus, sentir mon cœur battre comme une boite à rythmes. J’ai été prise par une urgence, un peu comme dans la chanson Boom Boom de Richard Desjardins, « s’cuse moi je m’en vais, je reviens dans une heure, faut qu’j’aille changer le monde ». Je changerais bien le monde, c’est vrai, je lui donnerais tes yeux et ton grand cœur, il n’en serait que meilleur.


Mon cheum m’a rejoint là-bas. Ca devient sérieux cette affaire, je crois n’avoir jamais été aussi amoureuse alors que je pensais mon palpitant fermé à double-tour. Il n’était qu’un peu rouillé et tout est revenu avec les yeux de ce garçon, ça ne s’oublie donc pas, c’est comme le vélo, la brasse coulée ou le goût des crêpes. L’amour c’est du sucre qu’on garde en bouche et qui crisse sous les dents avant de nous brûler en douceur.


Le concert ne sera pas inoubliable mais la bière est bonne. L’or liquide dont tu parles, c’est aussi une blonde qu’on déguste alors que la nuit tombe dans une courette éclairée par des lampions multicolores. Nul orage ici, le ciel est trop occupé à nous regarder nous embrasser. J’ai expliqué au garçon que j’allais le laisser quelques temps pour te rejoindre. J’adore ton idée et je sais qu’il m’attendra. Le cœur régulier dont tu parles, c’est avec lui que je l’ai trouvé, je le sais. Je lui ai confié ta branche d’acacia, il va s’en occuper, il est très délicat, je suis sûre qu’il saura.


Je vais venir en bus. J’ai envie de m’abreuver des paysages, de traverser des villes dont j’ignore tout, de laisser filer les kilomètres, ceux de la vie en rose. Décidément, nos vies sont des arcs-en-ciel.


Je termine cette lettre en l’écrivant sur un bout de table. Il fait totalement nuit maintenant et le bar va fermer. Le garçon m’attend, je vais dormir chez lui. J’ai envie de sa peau contre la mienne, de sa langue dans ma bouche et de son sexe en moi. J’ai envie de me tatouer des souvenirs de lui sur le corps. J’ai envie d’enregistrer ses regards pour mille ans et même ça, ce ne serait pas assez. J’ai envie d’aimer comme jamais.


Je pars demain matin, le temps de passer chez moi faire un sac et d’attraper mon passeport.

La joie revient, tu vois, et en nous, quand on y croit, elle demeure.


See you.

L.



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Lettres à

Constance Joly - Lisa Balavoine

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