Santa Fe, treizième jour.
Je t'écris encore, sans avoir eu ta réponse parce que j'avais besoin de te raconter la chose étrange qui m'est arrivée ce matin. Je sortais encore d'une nuit de puits, dont j'ai eu l'impression de m'extirper avec beaucoup de mal. Même à l'aube, la lumière du désert c'est comme se recevoir un baquet d'eau glacée en pleine tête : un glacis lavande qui te saute au visage. J'étais donc là dans la salle de bains qui donne sur les montagnes au loin, fenêtre ouverte pour faire entrer un peu de fraîcheur, quand un oiseau a volé dans la pièce pour se poser sur le sol à côté de moi. Un oiseau miniature avec de longues ailes noires, sur un corps jaune et vert. Un oiseau de conte de fées, très joli vraiment. J'étais tétanisée, ravie et apeurée à la fois. J'ai pensé tout de suite à F. et j'ai espéré que c'était là le signe qu'il pensait encore à moi (tu ne me changeras jamais). Je regardais le messager de l'au-delà sans oser m'approcher plus près, sans oser presque respirer. L'oiseau ne bougeait pas, une apparition, si ce n'est le vent qui glissait sur les plumes et les faisait frissonner et luire doucement. Quelle beauté... un chardonneret dans un rayon de lumière dorée, à un mètre de moi. Au bout de quelques minutes où j'étais suspendue à ma brosse à dents comme une gourde, il s'est envolé dans ma chambre à tout petits coups d'ailes. La fenêtre était ouverte et j'ai pensé (avec une petite fracture au coeur), que j'avais été exaucée : j'avais demandé un signe, et il était arrivé. Je crois, moi, que les morts communiquent, même si je sais bien ce que tu en penses. L'oiseau était venu et reparti, son message secret livré à bon port. J'ai passé la matinée dans une sorte d'ivresse, me suis préparé un thé rouge que j'ai bu en dessinant les arbustes autour du ranch. J'ai même sorti l'aquarelle que tu m'as donnée et commencé de préparer ce vert lichen très étrange de la végétation d'ici. Ca m'a pris du temps. Puis, je me suis fait une tartine d'avocat, posé un vieux disque sur la platine, enfilé un jean et au moment où je suis passée dans ma chambre pour prendre un nouveau tee-shirt, j'ai failli marcher dessus. L'oiseau était au pied de mon lit, couché sur le dos, la tête sur le côté, les pattes en l'air, raide mort. Je suis restée hagarde comme ça un long moment, puis je me suis penchée pour caresser sa tête avec l'index, très doucement. De la pièce d'à-côté me venait la voix de Lennon. Il a fallu que je me raisonne pour sortir de ma torpeur, - j'ai peur de la mort en vérité, je ne pouvais pas me décider à le prendre dans mes mains. J'ai saisi sa petite patte raidie de deux doigts, et placé le corps dans une culotte (je n'ai carrément rien d'autre comme tissu, pas un bout de torchon, rien, tant pis pour la symbolique). Je l'ai emmitouflé dans son suaire de fortune, et déposé au fond d'un trou que j'ai creusé près d'un genévrier. J'ai bredouillé un truc genre, merci de ta visite, repose en paix, oraison funèbre super limite, mais mieux que rien. Je n'ai pas pu reprendre mon aquarelle. Je suis restée là, à chercher les paroles d'une chanson que j'avais sur le bout de la langue, une chanson qui parlait d'un oiseau. En fin de journée, le ciel a tourné à l'orange poignant, et je suis allée voir près du genévrier : l'oiseau n'était plus là. Je ne sais pas s'il avait juste été assommé par la vitre de la fenêtre et qu'il s'est envolé, ou si un coyote l'a emporté. Tu as un avis, toi ?
Le temps que je t'écrive ça, la journée est passée, et je suis à nouveau seule dans le soir qui tombe. Oh my.
Je t'embrasse
C.
Lettres à
Birds on a wire
Constance Joly - Lisa Balavoine
Un été jaune carré
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